vendredi 25 décembre 2009

Vendetta (R.J. Ellory)


Le retour d'un écrivain américain, R.J. Ellory, qui est en train de devenir furieusement tendance (tenez-vous bien, nous explique un encart vendu avec le bouquin, il a fait de la prison dans sa jeunesse, si ça ce n'est pas un gage de crédibilité pour un thriller madame) ! En attendant, c'est réussi : voilà ce qu'il est convenu d'appeler un véritable roman noir, dans lequel l'omniprésence du crime ne dessert pas l'histoire, mais lui donne au contraire une consistance insoupçonnée.

Un tueur à gages de la mafia, Ernesto Cabrera Perez, vient s'accuser de l'enlèvement de la fille du gouverneur de Louisiane. Il a une histoire à raconter à la police, plus précisément à un anodin fonctionnaire de New York, et lorsqu'il achèvera son récit seulement, alors il consentira peut-être à révéler l'endroit où il retient captive la jeune femme. Le dénouement est palpitant, le meurtrier incroyablement complexe, les flics terriblement ordinaires (alcooliques, perturbés...)

Ah si, une dernière chose, car je ne voudrais pas donner l'impression de me mettre à aimer inconditionnellement les thrillers américains. Le message que je vais délivrer est très important, et doit être relayé auprès des auteurs : s'il vous plaît, arrêtez de nous abreuver, nous pauvres lecteurs du monde, de la géographie de Los Angeles. Je ne connais pas Los Angeles. Je me contrefous de savoir que la West Bank Express Way traverse le pont de Jacksonville au niveau de la 37e rue. Qu'il faut bloquer la bagnole en fuite en envoyant toutes les unités disponibles sur Main Street, si possible en passant par le 3e embranchement de la Highway 658, parce qu'à cette heure-ci Sunset Boulevard est toujours encombré. Que le resto où tu trouves les meilleurs pancakes, c'est chez Tony's, à l'angle de la 8e et de 14e, en remontant vers Townhall quand tu sors d'Iberhmann Street. Bref, en un mot, si un Dieu existe quelque part, qu'il fasse en sorte que l'association des promoteurs du cadastre de Los Angeles arrête de sponsoriser les auteurs de thrillers, car cela nuit gravement à l'intérêt du lectorat.

Je coupe court aux critiques des âmes vertueuses qui s'indigneront de mon enfermement monoculturel franco-français. La description d'une course-poursuite dans les rues de Vierzon ne me ferait pas plus d'effet. Franchement, vous voyez Jean-Christophe Grangé, en plein milieu de la narration d'un double meurtre à la machette, nous expliquer qu'on trouve les meilleurs pot-aux-feux chez Paulette, à l'angle de la Rue Gaspard Vermoux et de l'impasse André Sanfrapé, en remontant vers la Z.I. du Fier-Navet ? Alors je crie haut et fort : Los Angeles, Vierzon, même combat !

vendredi 11 décembre 2009

Le Testament (John Grisham)

Peu avant sa mort, un richissime homme d'affaires américain déshérite ses enfants, à l'exception d'un seul : une fille illégitime, dont il n'a jamais parlé à personne, devenue missionnaire au Brésil, en plein Mato Grosso, à des heures de toute civilisation. Pourquoi ? Nate O'Riley, avocat au bord du gouffre, part pour la retrouver, tandis qu'aux Etats-Unis la bataille entre les héritiers dépossédés et les hommes de loi du défunt ne fait que commencer...

Le livre débute par les banalités d'usage de tout thriller à succès : une affaire de gros sous (onze milliards de dollars d'héritage, what else ?), et un avocat alcoolique, sur la fin de sa carrière. Je suis à deux doigts de plier bagages...

Et puis le miracle ! L'histoire se mue lentement en une découverte très enivrante de l'Amérique du Sud, au rythme des cours d'eau qui serpentent à travers l'Amazonie, les personnages prennent des reliefs insoupçonnés, bref : un soupçon de réalisme apparaît (quel bonheur ! ). Autant dire que cela change tout et rend l'enquête passionnante. Seule ombre au tableau : une soudaine piété mystique rend la sobrité à un buveur endurci... Ainsi soit-il.

jeudi 12 novembre 2009

Les Trois Mousquetaires (Alexandre Dumas)

De la passion, de la vengeance, des drames, des enlèvements, des duels, des retrouvailles, des escarmouches, et quatre amis. Une recette simple comme bonjour qui a permis au roman d'Alexandre Dumas de devenir un classique. S'il n'a pas inventé la poudre, l'auteur mélange des ingrédients qui font de l'histoire un cocktail détonnant. Il y a d'Artagnan, le coeur pur, qui aime Mme Bonacieux, la dame persécutée. Il y a le cardinal de Richelieu, le stratège, et son âme damnée, Milady de Winter. Il y a le simplet de service, Porthos, et le sage objecteur de conscience, Athos. Bref, tout ce que la littérature peut fournir de personnages est là : il y a même un peu trop de monde dans cette fresque pas du tout historique, qui mérite pourtant qu'on s'y attarde, car cette foule est mise en scène avec brio.

A propos, peut-être s'agit-il d'une manifestation de mon esprit détraqué, mais d'Artagnan est un protagoniste bien pâle dans cette histoire. Le véritable héros du livre est en fait une héroïne, Milady. C'est sur elle que Dumas a déversé tout son talent romanesque, faisant naître chez le lecteur pour cet être mi-femme mi-démon des sentiments aussi contradictoires qu'inquiétants.

vendredi 16 octobre 2009

Messieurs les Enfants (Daniel Pennac)

Il n'y pas pas de quoi s'étendre indéfiniment sur ce petit Pennac tout ce qu'il y a de plus réglementaire. Des gens ordinaires deviennent extraordinaires, trois ou quatre bonnes réflexions sur les adultes qui ont perdu leur âme d'enfant, et le tour est joué. Suivez le chef :

"En ce qui me concerne, je n'ai jamais laissé Igor m'étouffer sous les "pourquoi". Là où Tatiana s'embarquait avec une patience suspecte dans la boucle sans fin des "pourquoi, parce que, mais pourquoi, parce que..." j'ai vite fait, moi, le procès des réponses causales.
- Les enfants se foutent des causes , Tatiana. Seul le but les intéresse.
Ce qui est la vérité vraie. Qu'un moutard vous demande "pourquoi il pleut ?", la pire des réponses à lui faire concerne "les nuages...", réponse qui entraîne illico "Pourquoi les nuages ?", et vous voilà embarqué dans l'analyse complexe des précipitations atmosphériques", "Pourquoi les prézipitations ?", avec leur cortège d'anticyclones, "Et pourquoi ils viennent des Zazores ?"... Folle spirale où vous heurtez vite et fort les parois de votre incompétence, ce qui vous accule à la baffe libératrice, ou pis, au mensonge.
Non, cet âge réclame des réponses finales.
Un exemple de réponse finale ?
- Pourquoi il pleut ? demandait invariablement Igor quand nous promenions nos dimanches à la campagne.
- Hein, pourquoi il pleut ?
- Pour que les fleurs poussent, Igor."

Voilà, vous avez compris, ce n'est pas déplaisant, au contraire, cela est même grisant parfois. Une suite de réflexions bien senties, suivies d'exemples encore mieux sentis, mais malheureusement au détriment de l'histoire, son histoire, dont Daniel Pennac semble se désintéresser au plus haut point. Et une suite d'exemples sans le ciment qui les rend cohérents, ce n'est plus un roman, c'est un catalogue.

lundi 5 octobre 2009

La Vénus d'Ille (Mérimée)


Peur sur la ville. Vénus s'éveille, et elle est en colère. Un jeune homme, de chair et de sang, eut un jour la fâcheuse idée de passer au doigt de la statue la bague qu'il destinait à sa fiancée. Mal lui en prit... Le soir de la nuit de noces, jalouse, l'idole sort de sa torpeur glacée et vient mettre fin aux jours de l'amant imprudent.

Le procédé de la nouvelle fantastique du 19ème est connu : c'est bien souvent un savant, un chercheur qui raconte, et qui malgré toute sa science est témoin de faits irrationnels... Face à la statue, bien avant le drame, il ne peut lui-même éprouver autre chose qu'un frisson :

"Quant à la figure, jamais je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange, et dont le type ne se rapprochait d'aucune statue antique dont il me souvienne. Ce n'était point cette beauté calme et sévère des sculpteurs grecs, qui, par système, donnaient à tous les traits une majestueuse immobilité. Ici, au contraire, j'observais avec surprise l'intention marquée de l'artiste de rendre la malice arrivant jusqu'à la méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement : les yeux un peu obliques, la bouche relevée dans les coins, les narines quelque peu gonflées. Dédain, ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d'une incroyable beauté cependant [...] Cette expression d'ironie infernale était augmentée peut-être par le contraste des yeux incrustés d'argent et très brillants avec la patine d'un vert noirâtre que le temps avait donné à toute la statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui rappelait la réalité, la vie. Je me souvins de ce qu'avait dit mon guide, qu'elle faisait baisser les yeux à ceux qui la regardaient".

Le style de Mérimée est froid, sec, sans fioritures, et rend merveilleusement bien la fureur contenue qui se dégage de la statue. Le lecteur en ressort violenté. Malheureusement pour lui, Mérimée, pourtant Inspecteur des Monuments Historiques, ne s'attire par la reconnaissance de ses pairs avec ses nouvelles, car transparaît à travers toutes ses histoires qu'il regarde le monde avec le même oeil que celui de sa Vénus d'Ille : une froideur calculée... Néanmoins, il est dans l'air de son époque : au 18è siècle, les écrivains (Rousseau, Voltaire, Sade...) avaient à combattre la double emprise du Pouvoir et de la Religion sur la société. Au 19è sicèle, la nouvelle tyrannie, c'est la Science, et le fantastique va connaître son heure de gloire, car il met au défi les lois de la Logique et de la Raison devenues toutes puissantes. Maupassant, Poe et d'autres ont ainsi écrit des scènes horrifiantes, mais la Vénus d'Ille demeure à mes yeux le bijou précieux du genre...

lundi 28 septembre 2009

Sur les Falaises de Marbre (Ernst Jünger)

Lorsqu'en 1927, il fut proposé à Ernst Jünger de devenir député national-socialiste au Reichstag, il déclara qu'il lui semblait préférable d'écrire "un seul bon vers plutôt que de représenter 60.000 crétins". Et pourtant, Jünger fut officier allemand à Paris pendant la Seconde Guerre Mondiale. Alors, ambigu personnage ? Au contraire, parfaitement normal : un homme, simplement, qui a dénoncé le système, mais qui a refusé de déserter ou de résister. Toute l'ambivalence réside dans le choix des hauts-dirigeants nazis de ne pas faire arrêter l'écrivain, alors que celui-ci critiquait le système de l'intérieur même. Jünger, héros national depuis la guerre de 14, était inattaquable. Hitler aurait dit de lui : "on ne touche pas à Jünger".
Revenons au livre, car le contexte de l'écriture de ce roman n'est guère déterminant, même si on pourrait le croire à première vue. L'oeuvre est intemporelle : aucun repère n'est jamais donné au lecteur. Le narrateur vit retiré du monde, dans un lieu que l'on appelle la Marina. Il se consacre à la lecture et à son herbier. Mais la barbarie ensommeillée des peuples alentours est soudainement réveillée, des profondeurs des bois qui bordent les frontières septentrionales du pays, par les ardeurs guerrières et sauvages de celui que l'on nomme "le Grand Forestier".

Ce livre est d'une beauté parfaite, mais d'un ennui définitif : les métaphores du bien contre le mal, de la barbarie, des instincts primaires des hommes qui s'éveillent au contact de la rumeur, font de ce livre un récit qui assomme son lecteur. On a surtout loué Jünger pour une œuvre qui dénoncerait de façon absolue l'autoritarisme et la dictature. Mais le recul extrême de l'ouvrage, son intemporalité, son déracinement, en font une fable vide de sens, que l'on appliquera aveuglement aux régimes ou aux valeurs que l'on veut critiquer. Le détachement de toute réalité est certes une prouesse littéraire, mais il ne reste que des pages qui ne dénonceront que ce qu'on voudra bien leur faire dénoncer.

dimanche 27 septembre 2009

"Beaucoup de bruit pour peu de sens"

Samedi 27 septembre au matin, on écoutait avec un intérêt qui ne faiblit pas l'excellente émission de Rebecca Manzoni sur France Inter, Eclectik, que vous pouvez retrouver ici. Guillaume Erner, chroniqueur, s'était penché ce jour-là sur le traitement infligé à l'Histoire dans le documentaire Apocalypse, dont France 2 nous rebat les oreilles jusqu'à la nausée. Autopromotion, l'autre soir, juste avant le journal de 20h : des images de déportations avec une musique de fin du monde, et comble d'une bêtise crasse, les chiffres de l'audimat de la dernière diffusion qui se greffent sur l'image... L'exceptionnel battage médiatique autour de cette série documentaire aura heureusement réveillé quelques consciences, dont celle de Guillaume Erner dont je vous retranscris ici une partie de la chronique :
"A la mode cette semaine, dans les collections automne-hiver, les nouvelles tendances, c'est un défilé vert de gris sur la Pologne qui se prolonge jusqu'au Champs-Elysées. Une bande son très sympa, façon raid. La guerre la plus cool, c'est de loin la Seconde Guerre Mondiale. La Seconde Guerre Mondiale, c'est du sang, des larmes et la victoire. La victoire sur les Experts de TF1 : 7, 2 millions de téléspectateurs ! Quand tu penses qu'à Leningrad les russes n'en ont rassemblé que deux millions. Plus de trois fois plus donc sur France 2, pour un documentaire sobrement intitulé Apocalypse. Et cela donne des idées à France 2 : Patrice Duhamel a déclaré chez Morandini (celui qui, je suppose, occupe aujourd'hui le siège de Braudel au Collège de France) : "il y aura une suite à Apocalypse". Mais laquelle ? Problème, après la Seconde Guerre Mondiale, il n'y en a plus eu que des petites. Avec la guerre de Corée, même Thalassa va nous ridiculiser. Grâce à Apocalypse, on peut se réjouir que la Seconde Guerre Mondiale soit enfin accessible aux jeunes générations : images colorisées, son THX, narration d'un djeun', Matthieu Kassotivitz (brillante idée d'ailleurs de le prendre comme caution lui qui ne croit pas au 11 septembre). Mais Apocalypse remplit-il véritablement son rôle pédagogique? Sur la condamnation de la guerre, la dénonciation des abominations nazies, alors ce documentaire tient ses promesses. Mais s'il s'agit de comprendre l'événement? Alors cette suite d'images chocs, où l'on voit des bombardements, des corps, des morts et même des caleçons, ne produit que beaucoup de bruit pour peu de sens. Apocalypse (comme son nom l'indique) relève plus d'une transe religieuse que d'une démarche historique. Il ne s'agit plus d'un "passé qui ne passe pas", mais d'une permanence de l'impensée".
Pour aller plus loin, Télérama (n°3314) a consacré un article passionnant au phénomène. Les réalisateurs du documentaire y expliquent avec aplomb que les événements ont été vécus en couleurs par leurs protagonistes, et que si ils nous ont été transmis en noir et blanc, c'est uniquement pour des raisons d'insuffisances techniques.
"Une telle confusion entre le réel et l'archive, l'histoire et ses représentations, se double dans Apocalypse d'une volonté revendiquée de réactiver l'impact émotionnel des événements eux-mêmes. Mais chercher à rendre proche ce qui est lointain en le conformant aux standards du flux télévisuel, c'est aussi sacrifier au présentisme dénoncé par l'historien François Hartog -cette propension à rapprocher l'hier de l'aujourd'hui".

mardi 22 septembre 2009

Le Génie des Alpages (F'Murr)

Des brebis qui discutent métaphysique en broutant, qui construisent des abris anti-atomiques sous la montagne, qui tendent des pièges machiavéliques aux touristes, qui assistent à des éclipses de soleil en pleine nuit et qui sont jalouses de la petite amie de leur berger, ça n'existe pas dans la réalité, sauf dans l'univers de F'Murr, auteur de bandes dessinées, et notamment du Génie des Alpages, une série au grand air qui compte déjà treize épisodes.

Je ne saurais que trop vous recommander de commencer par le premier des albums, au risque de ne rien y comprendre. Certains gags sont filés sur plusieurs tomes, et la plupart des dialogues sont incompréhensibles sans un arrière-plan historique. D'autres trouveront peut-être au contraire un certain charme à s'immerger au hasard dans ces dessins... J'ai personnellement eu un peu de mal à rentrer dans l'univers de F'Murr, mais je ne regrette pas aujourd'hui d'avoir fourni ce léger effort. L'ensemble est d'une profonde poésie alpine : des paysages fixes et mouvants à la fois (le motif sur le pull d'Athanase, le berger, change à chaque vignette et la montagne est un monde que les animaux dessinent à leur gré), une petite "buvette des cimes" où il fait bon vivre et où les brebis se rendent en douce, ou encore le bélier Romuald qui, seul mâle dans ces paysages féminins, ne manque guère d'occupations...
Face à toutes ces loufoqueries, le berger et son bon chien regardent avec résignation, consternation ou amusement leur troupeau, sur lequel il n'ont plus la moindre autorité depuis bien longtemps...

vendredi 18 septembre 2009

L'Albine, Scènes de la Vie en Limousin et en Périgord Vert (Fernand Dupuy)

Je m'autorise à vous faire partager une escapade dans une région que je connais bien, puisqu'il s'agit de celle où je suis né. Rares seront ceux, je pense, qui ont connaissance de cet ouvrage, car il n'est pas de première jeunesse et il n'intéresse peut-être que ceux "du coin". Néanmoins, ce livre n'appartient pas à la veine du régionalisme et il n'est pas spécialement passéiste, donc il m'a plu... Il constate, tout simplement, qu'entre la fin de la seconde guerre mondiale et les années soixante-dix, date de parution, beaucoup de choses ont changé. L'auteur, instituteur et député communiste, s'est éteint en 1999 à Limoges. Il laisse là une confession qui n'a rien d'un chef d'oeuvre en prose, mais dont la sincérité est évidente.

Des passages légers, des anecdotes, il y en a beaucoup. Mais parfois, derrière les petites histoires des repas du dimanche, se cachent des habitudes lourdes de sens :

"Je n'avais guère plus de huit ou neuf ans. Au cours d'un repas, je taillais une tranche de pain et je replaçais, tout à fait par hasard, la tourte sur le dos. Mon grand-père la remit sur le ventre. Un moment plus tard, je recommençais un peu moins innocemment peut-être mais sans vraiment penser à mal. Mon grand-père remit la tourte à l'endroit d'un geste brusque mais sans rien dire. Je sentais bien qu'il y avait quelque chose qui déplaisait à mon grand-père quand la tourte était sur le dos, mais pourquoi ? Je n'arrivais pas à comprendre. Alors, de propos délibéré cette fois, pour savoir, je retournais la tourte.

Mon grand-père se dressa, le visage empourpré de colère, prit la tourte à deux mains, la retourna et la planqua sur la table avec une violence inouïe.

"Noum dè di, piti, nou dè di" !

Je crus qu'il allait me battre. Lui qui ne jurait jamais, qui jamais ne se fâchait, voilà qu'il était hors de lui. Ma grand-mère et ma petite soeur étaient atterrées.

"Il n'y a que les putains qui gagnent leur pain sur le dos. Tu comprends ? Les putains. Moi je ne le gagne pas couché sur le dos. Tu as compris ?"

jeudi 20 août 2009

La chaussure sur le toit (Vincent Delecroix)

Question littérature, Vincent Delecroix est une pointure. Je sais, le jeu de mots est affligeant, mais c’est ma marque de fabrique après tout. Dix petites nouvelles, imbriquées les unes dans les autres sans ordre apparent, dont l’élément commun est une vulgaire chaussure, posée sur le toit d’un immeuble de banlieue.
Les récits s’enchaînent, le lecteur prend plaisir à s’égarer : les narrateurs racontent des histoires, mais leurs personnages aussi. Les notions de fiction et de réalité n’ont plus de sens. Difficile de raconter ce livre gigogne sans en dénaturer le propos… Je préfère encore donner au lecteur quelques extraits choisis :

Tout commence avec cette petite fille, qui au beau milieu de la nuit, appelle à son chevet son papa pour lui expliquer qu’elle vient de voir, par la fenêtre, debout sur le toit, un ange qui n’avait pas l’air gentil :

« Mine de rien, j’avais quand même réussi à lui faire regagner son lit. Elle s’était glissé sous les couvertures et je m’étais assis à côté d’elle. Il n’avait pas l’air gentil ? Non, il avait l’air triste. Mais les anges ne sont pas tristes ma chérie. Alors ce n’était pas un ange ? Ce n’est pas ce que je veux dire, mais. Non, non, je suis sûre que c’était un ange, il me regardait et il avait l’air triste. J’ai passé ma main sur ma figure. Il te regardait ? Oui, il m’a regardé pendant longtemps. Et après il s’est envolé ? Elle m’a dit dans un souffle : il n’avait pas d’ailes ».

[…] Je n’aime pas qu’il soit triste, papa. Là, je me sentais vraiment fatigué. Tu verras, lui ai-je dis, la prochaine que tu le reverras, il sera très joyeux, et il sera content de te voir dormir. Il reviendra pour chercher sa chaussure ?Je l’ai regardée avec perplexité. Pour rechercher sa chaussure ? Oui, quand il a disparu, il a laissé sa chaussure.

[…] Je suis ressorti sur la pointe des pieds. J’ai poussé un gros soupir. Je suis allé me chercher un verre d’eau à la cuisine en prenant soin de ne pas allumer la lumière. Est-ce que je dirai à Catherine que la petite a encore eu des hallucinations ? Qu’elle a vu un ange en pantalon qui a oublié sa chaussure ? […] C’est en reposant le verre d’eau que j’ai vu, par la fenêtre de la cuisine, sur le toit d’en face, une chaussure ».

Cet ange, il faut attendre la dernière nouvelle pour savoir de qui il s’agit (ceux qui souhaitent lire l’histoire ont intérêt à cesser leur lecture ici). Un type au bout du rouleau, qui avant de faire le grand plongeon décide de donner un sens à son geste :

« Les gens sont bien futiles après tout. Un rien décide de leur humeur, un rien décide de leur salut : un rien peut alors détourner leur attention de la souffrance et la fixer autre part. Il faut simplement leur donner un objet et ils y déposeront tout le malheur et le ridicule du monde. Et dans le genre ridicule, une chaussure peut très bien faire l’affaire ».

Et de fait, tous les récrits intermédiaires ne sont que des extrapolations à partir de cet élément, la chaussure. Un artiste, par exemple, en pleine crise de doute sur le sens de son œuvre :

« Pourquoi cette chaussure ? Et pourquoi cette chaussure-là ? Autrement dit, quelle est la vérité de cette chaussure ?Voilà ce que doit dire l’art. Voilà la tâche. Alors surgit, inévitable, un tableau : Les Souliers de Van Gogh, évidemment, l’écrasante vérité de ce tableau. Mais un problème se pose, le problème, qui m’occupe depuis des semaines, des mois : une paire de chaussure, ça veut dire quelque chose ; dans leur utilité prosaïque, elles signifient quelque chose. Mais une chaussure sur un toit, ça ne veut rien dire, ça ne veut rien dire du tout, ça ne signifie rien. Effrayante nudité de son être-là-sur-le-toit, obstination que cette présence oppose à toute signification… »

L’ange a réussi son pari.

samedi 15 août 2009

Les voleurs de beauté (Pascal Bruckner)



Voici une sorte de roman de gare amélioré : Pascal Bruckner a du talent mais il ne l'a pas forcé. Pas un seul instant on ne croit à cette histoire de voleurs de beauté, en l'occurrence un couple déjanté, elle, Francesca, prof de philo ; lui, Jérôme, dandy acariâtre, aidés par Raymond, un nain dont la dégaine est à mi-chemin entre Passepartout et Minimoi, qui ont entreprit de châtier pour la perfection de leurs corps les jeunes midinettes de Paris. Enfermées dans les cachots d'un chalet au fin fond du Jura, les jeunes femmes prisonnières doivent, à force de solitude et de pression psychologique, expier de leurs visages cette beauté qui rappelle trop à ceux qui les croisent à quel point ils sont la lie du monde. Alors seulement, lorsque le processus de flétrissement est achevé, les geôliers consentent à libérer leurs prisonnières.


Pascal Bruckner, dont la prose est indéniablement de qualité, aurait pu s'en tirer en écrivant une fable poétique sur l'injustice originelle de la cohabitation des beaux et des laids en ce bas-monde. Que nenni ! Le voilà en train d'essayer de nous faire avaler l'histoire de trois Pieds-Nickelés qui kidnappent des femmes depuis 20 ans sans se faire prendre, tout cela parce que "les captives qui séjournent dans nos caves s'évaporent à la manière d'un parfum, exhalant un arôme en se fanant. Cet arôme, nous le canalisons dans un conduit qui le transporte jusqu'à des entonnoirs ou Franscesca, Raymond et moi allons respirer la jeunesse". Bref, on y croit à peu près autant que lorsqu'on entend un banquier dire qu'il a retenu les leçons de la crise. Cela dit, l'ensemble reste amusant et laisse l'impression pas déplaisante d'un livre tellement raté qu'il en devient drôle. A moins que ce ne soit voulu, et dans ce cas-là, Pascal Bruckner est un génie, et moi je pars trois mois en camping dans la bande de Gaza.

lundi 3 août 2009

Le Chien des Baskerville (Sir Arthur Conan Doyle)


Un chien venu des Enfers sème la terreur dans le Devonshire. Ce brave toutou, de tempérament joueur, saute consciencieusement à la gorge des héritiers de la noble famille des Baskerville, dont le domaine est situé au beau milieu de nulle part.

Une enquête pointue, une atmosphère glaçante, un style percutant, « Le chien des Baskervile » est, paraît-il, le meilleur des romans de Conan Doyle. Je le crois volontiers. Certaines scènes rappellent à s’y méprendre le Dracula de Bram Stoker, notamment l’arrivée en carriole de l’héritier Henri de Baskerville sur ses terres :

« Nous avions quitté les plaines fertiles ; nous leur adressâmes un dernier regard : les rayons obliques du soleil bas tissaient des fils d’or et de pourpre sur le sol rouge et les bois touffus. Notre route à présent surplombait des pentes escarpées rousses et verdâtres, sur lesquelles des rocs gigantesques se tenaient en équilibre. De loin en loin, nous passions devant une petite maison aux murs et aux toits de pierre ; aucune plante grimpante n’en adoucissait l’aspect farouche. Une cuvette s’arrondit devant nous ; à ses flancs s’accrochaient des chênes tordus et des sapins courbés par la fureur des tempêtes. Deux hautes tours étroites dépassaient les arbres. Le cocher avec un geste de son fouet nous les nomma : « Baskerville Hall ».

On se délecte évidemment du duo Holmes/Watson, le second ne servant qu’à mettre en lumière la science du premier. D’ailleurs, ce n’est pas l'humilité qui écrase le fameux limier londonien :

« En vérité, Watson, vous vous surpassez ! s’exclama Holmes en repoussant sa chaise et en allumant une cigarette. Vous n’êtes peut-être pas une lumière par vous-même, mais vous êtes un conducteur de lumière. Certaines personnes dépourvues de génie personnel sont quelquefois douées du pouvoir de le stimuler… »

Longtemps (Erik Orsenna)



« Voici le portrait de cet animal indomptable et démodé : un sentiment », annonce la quatrième de couverture. Erik Orsenna remet en effet au goût du jour la passion adultère entre Gabriel, jardinier, et Elisabeth, haut-fonctionnaire en perpétuel déplacement.

La langueur (dans l’attente de l’autre) et la fougue (dans les retrouvailles) rythment une histoire un peu trop chaotique, et qui cède parfois à la facilité. Néanmoins, la poésie de certains passages alliée à l’érotisme torride de quelques scènes font oublier les défauts, et laissent au lecteur un agréable goût d’interdits transgressés…

samedi 11 juillet 2009

Socrate 2.0



Une note brève (et tardive) pour signaler l'article passionnant paru dans Books du sociologue espagnol Joaquin Rodriguez, intitulé Internet rend-il idiot ? Vous le trouverez dans son intégralité en cliquant ici !

jeudi 9 juillet 2009

C'est l'été !


Un court message estival pour vous dire combien l’été sied à la lecture de certains livres. Je me rappelle encore certaines fins d’après-midi de juillet et d’août, étendu sur une terrasse à l’heure où la chaleur commence à peine à diminuer, en train de déguster les pages de quelque histoire dans laquelle le soleil était tout aussi rayonnant qu’au dessus de ma propre tête.

L’harmonie parfaite entre le livre et son lecteur… Tout le monde a connu cela au moins une fois dans sa vie, et si ce n’est pas le cas, essayez-donc les récits suivants, je vous les livre pêle-mêle.

J’ai par exemple devant moi un vieil exemplaire des Lettres de mon Moulin. Un petit format, idéal pour la saison car il s’emmène partout, dont les feuilles commencent à se couvrir d’un joli jaune pâle. Le premier conte, sobrement intitulé Installation, est le préambule rêvé de tous vacancier qui n’aspire qu’à deux choses : le calme et le ciel bleu.

« Ce sont les lapins qui ont été étonnés !… Depuis si longtemps qu’ils voyaient la porte du moulin fermée, les murs et la plate-forme envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte […] La nuit de mon arrivée, il y en avait bien, sans mentir, une vingtaine assis en rond sur la plate-forme, en train de se chauffer les pattes à rayon de lune.
Quelqu’un de très étonné aussi, en me voyant, c’est le locataire du premier, un vieux hibou sinistre, à tête de penseur, qui habite le moulin depuis plus de vingt ans. […] N’importe ! Tel qu’il est avec ses yeux clignotants et sa tête renfrognée, ce locataire silencieux me plaît encore mieux qu’un autre, et je me suis empressé de lui renouveler son bail. Il garde comme dans le passé tout le haut du moulin avec une entrée par le toit ; moi je réserve la pièce du bas, une petite pièce blanchie à la chaux, basse et voûtée comme un réfectoire de couvent.

C’est de là que je vous écris, ma porte ouverte, au bon soleil.
Un joli bois de pins tout étincelant de lumière dégringole devant moi jusqu’au bas de la côte. A l’horizon, les Alpilles découpent leurs crêtes fines… Pas de bruit… A peine, de loin en loin, un courlis dans les lavandes, un grelot de mules sur la route… Tout ce beau paysage provençal ne vit que par la lumière ».

Quittons maintenant Alphonse Daudet mais restons en Provence avec Marcel Pagnol. Ceux pour qui le thème de l’eau est indissociable des vacances sont fortement encouragés à lire L’Eau des Collines (en deux parties : Jean de Florette puis Manon des Sources), ou l’histoire d’un drame au pays des sources… et des naïades.

« Lentement, il écarta les tiges grises des clématites, puis les feuilles charnues d’un lierre, et il la vit enfin, celle qu’il cherchait depuis l’aurore, et qui l’avait attiré jusque-là.

Assise au bord d’un grand trou rond, les jambes pendantes vers l’eau, qu’elle égratignait du bout de l’orteil, elle était nue. Une collerette de hâle descendait de son cou vers sa jeune poitrine, ses avant-bras étaient bruns jusqu’au coude et ses jambes jusqu’aux genoux ; mais son torse était d’un blanc de lait, et brillait d’un lumineux contraste avec les gants et les bas mordorés du soleil. […]
Non loin de la bergère, sur la roche brûlante, sa robe sombre et sa chemise brillaient au soleil. Tout près d’elle, un morceau de savon carré, et son petit harmonica. Pensive, la tête baissée, ses cheveux blonds pendant vers sa poitrine, elle balançait toujours ses jambes rondes, et des gouttes brillantes, au bout de son pied, sautaient au soleil ».

Enfin, à l’attention de ceux qui aiment les contes, je propose le K, de Dino Buzzati, un recueil de nouvelles drôles, attendrissantes ou effrayantes, qui ont pour point commun de mettre en exergue l’absurdité de notre condition de mortels et l’inexorable fuite des jours. Extrait de La leçon de 1980, une des histoires les plus absurdes mais aussi les plus justes, qui prouve que l’imagination, quand elle s'en donne la peine, peut avoir le fin mot sur les réalités.


« Excédé à la fin par tant de querelles, le Père éternel décida de donner aux hommes une leçon salutaire. A minuit précis, le mardi 31 décembre 1979, le chef du gouvernement soviétique, Piotr Semionovitch Kurulin, mourut subitement […] Une semaine après, à minuit précis, le mardi 7 janvier, quelque chose qui ressemblait fort à un infarctus, terrassa à table de travail tandis qu’il conférait avec le secrétaire à la marine de guerre, le Président des Etats-Unis, Samuel E. Fredrikson… ».

Je ne vais pas plus loin, vous avez compris la logique. Chaque semaine à minuit, Dieu eut l’idée de faire mourir l’homme le plus puissant de la planète. D’où une course effrénée, un sauve-qui peut général des postes de pouvoir, la défection des dictateurs de peur d’y passer à leur tour. « Six mois ne s’étaient pas écoulés que toute ombre de conflit, même locale, s’était dissipée ».

Chaque histoire est ainsi faite : une trame simple, mais un humour mordant. Chacun y trouvera son compte. Bonnes vacances !

samedi 27 juin 2009

Chagrin d'école (Daniel Pennac)


Mettons d'abord de côté ce qui fâche dans cet essai : Daniel Pennac a décidé d'écrire sur l'échec scolaire et par conséquent sur la figure du cancre. Il dispose, selon lui, de toute la légitimité pour le faire, puisque son enfance se résume à une impressionnante collection de bonnets d'ânes et autres zéros pointés. C'est précisément ici que le bât blesse : étant son propre objet d'étude, il se regarde écrire, commente ses propres réflexions, fait son autocritique à la place du lecteur, dialogue avec lui-même, puis analyse ce même dialogue… Bref, une véritable mise en abîme de son ego. Disons-le tout court : c'est exaspérant.

Pourtant, le livre met en avant une façon originale de traiter l'école et ses problèmes. Daniel Pennac, cela se sent, sait de quoi il parle. On apprécie le fait qu'il ne désigne aucun bouc-émissaire (il faut reconnaître qu'il connaît le sujet, voir Au bonheur des Ogres), et prône des solutions tout à fait iconoclastes (l'amour, par exemple) dans un monde où seule "la méthode" compte. Les préjugés en prennent pour leur grade, car Daniel Pennac a toujours sous la main quelques bons mots et quelques démonstrations par l'absurde bien sentis.

"Souvent, autour des tables dominicales, quelques adultes cassaient du sucre sur le dos de Picasso : affreux ! Peinture pour snobs ! Le n'importe quoi érigé en art majeur…
Malgré cette levée de bouclier, Picasso se répandait comme une algue : dessin, peinture, gravure, céramique, sculpture, décors de théâtre, littérature même, tout y passait.
- Il paraît qu'il travaille à toute allure !
Une de ces algues prolifiques venue d'un océan monstrueux pour polluer les golfes de l'art paisible.
- C'est une insulte à mon intelligence ! Je n'accepterai jamais que l'on se moque de moi.
Au point qu'un dimanche je pris la défense de Picasso en demandant à la dame qui venait de répéter cette accusation pour la énième fois si elle pensait raisonnablement que, ce matin-là, l'artiste s'était réveiller avec l'idée de torcher vite fait une petite toile dans le seul but de se moquer de madame Geneviève Pellegrue. […]
Geneviève Pellegrue ignorait qu'elle allait digérer Pablo Picasso comme le reste, lentement certes, mais inexorablement, au point que quarante ans plus tard ses petits-enfants rouleraient dans une des voitures familiales les plus hideuses jamais conçues, un suppositoire géant auquel les nouveaux Pellegrue donneraient le nom de l'artiste, et qui les déposeraient, par un beau dimanche de prurit culturel, aux portes du musée Picasso".

mercredi 24 juin 2009

Le pas du juge (Henri Troyat)



C’est toujours pareil : donnez à un Académicien grabataire un scénario passionnant, des personnages hauts en couleurs, et deux cents pages plus tard, vous avez entre les mains le livre le plus conventionnel jamais écrit. Des mauvaises langues diront qu’il y a plus de suspense à l’article Chénier (André) du Petit Larousse illustré, mais nous ne sommes pas là pour relayer les ragots…


Dommage, car lire l’histoire de la Révolution française à travers les yeux de deux protagonistes, aux destinées opposées, était intéressante. André Chénier, d’un côté, qui soutint les premiers élans révolutionnaires, mais dénonça ensuite les excès de la Terreur et de Robespierre ; sur l’autre rive, son frère, Marie-Joseph Chénier, membre de la Convention, devenu jacobin fanatique. Les deux hommes s’affrontent et confrontent leurs points de vues via pamphlets, poèmes et pièces de théâtre interposés, jusqu’au jour où la mort met fin à leur rivalité. Une fin toute provisoire d’ailleurs, car la postérité ne manquera pas de raviver ce combat. Il n’y a de place dans les mémoires que pour l’un des deux.

samedi 20 juin 2009

Métaphysique des tubes (Amélie Nothomb)


L'ennui, avec Amélie Nothomb, c'est qu'elle est persuadée que sa vie est passionnante.

Mais ce qui est encore plus ennuyeux, c'est qu'elle a décidé d'en faire des bouquins...

jeudi 18 juin 2009

La refondation du monde (Jean-Claude Guillebaud)

La refondation du monde, rien que ça ? Avec un titre pareil, Jean-Claude Guillebaud avait intérêt à ne pas nous décevoir. Et c'est réussi. Bien que paru en 1999, l'ouvrage est d'une actualité brûlante, et en cette période où l'idée directrice est une fantasque moralisation du capitalisme, il fait bon de le lire ou de le relire. Exemple :

« Il serait nécessaire, nous répète t-on sans cesse, de retrouver une morale. Tout nous invite à nous méfier du mot même de "morale" ou de celui qui se veut plus anodin d'éthique. Tous deux transportent avec eux je ne sais quelle intention disciplinaire. Comme s'il s'agissait, dans cette affaire, de mieux écouter un commandement venu d'en haut et auquel il nous faudrait réapprendre à obéir. Nul ne fera jamais revivre ce qui a été désenchanté. Sauf le tyran, peut-être».

Le ton est posé. Ce qui intrigue et inquiète Jean-Claude Guillebaud, c'est l'immense désarroi actuel, la fin des concepts qui permettaient jadis d'expliquer le monde et sa complexité. Avec la chute du Mur de Berlin, tout a volé en éclat. Et de citer Levinas :

« Aujourd'hui, nous avons vu disparaître l'horizon, qui apparaissait derrière le communisme, d'une espérance, d'une promesse de délivrance. Le temps promettait quelque chose. Avec la disparition du communisme, le trouble atteint des catégories très profondes de la conscience européenne ».

Alors comment penser la totalité après l'immense tragédie que fut le XXe siècle ? Comme le mentionne Edgar Morin, il y a bien longtemps que le projet encyclopédique - celui qui définissait l'honnête homme des Lumières - est hors de notre portée. Chaque année, chaque mois, chaque semaine qui passent voient se ramifier un peu plus, jusqu'à une arborescence infinie, les connaissances et les disciplines. Il ne nous reste guère que le choix entre la "superficielle généralisation médiatique" et "la compétence fragmentaire des disciplines".

Quelle est la place de la citoyenneté là-dedans ? Comment le citoyen ordinaire que je suis peut-il prendre position ? De manière personnelle, la question s'est posée à moi lors des élections européennes de 2009, placées sous le sceau de la lutte contre la crise. Entre une droite qui prône une course effrénée au profit et une extrême-gauche qui se berce d'illusions redistributrices, que me reste t-il ? La gauche réformiste ou le centre, mais ni l'un ni l'autre ne portent un véritable projet de société, et naviguent à vue. Je regarde alors d'autre voies. Celle de l'écologie ? Oui, le combat des Verts me touche en tant que citoyen, mais en se focalisant sur un unique credo, n'en vient-on pas à oublier tous les autres ?

Qui s'adresse à moi en tant que citoyen ? Personne. "Sans doute faut-il se mobiliser, écrit Jean-Claude Guillebaud, mais où est le front ?

lundi 15 juin 2009

L'invité (Roald Dahl)


Roald Dahl possède la capacité fascinante de mêler humour et horreur sans que jamais l'un ne dénature l'autre. Dans cette nouvelle au beau milieu du désert, un dandy aventureux n'a pas idée des dangers qui le guettent... Le lecteur non plus. Absolument savoureux.

mercredi 27 mai 2009

Petite discussion avec une momie et autres histoires (Edgar Allan Poe)



Le côté fantastique des nouvelles de Poe est sans doute dépassé. Il est d'ailleurs intéréssant de voir comment les procédés visant à frapper l'imaginaire du lecteur du 19e ne conviennent plus au lecteur contemporain : la momie qui se réveille a fait son temps.

Néanmoins, la peur de l'inconnu et les réactions qu'il engendre gardent toute leur actualité. Le puits et le pendule (la meilleure des trois histoires) illustre parfaitement une scène de torture psychologique.
Aux amateurs d'histoires fantastiques, je conseillerais plus volontiers Le Horla, de Maupassant.

lundi 18 mai 2009

Lolita (Vladimir Nabokov)



Sulfureux ? Sans doute.
Soporifique ? Certainement.

Le roman traite de manière explicite de pédophilie, ce qui nous entraîne vers le fameux débat du rapport entre éthique et esthétique. Le thème choisi est on ne peut plus tabou. Le contexte culturel qui est le nôtre permet à l'art de raconter le crime, d'exposer la violence, de se plonger dans la peau d'un tueur, et même de faire l'apologie de la torture, mais la relation physique, sexuelle, entre un enfant et un adulte demeure le non-dit absolu. Du moins, on ne peut la raconter que si elle est explicitement condamnée. Tel n'est pas le cas ici.

C'est donc avec l'esprit quelque peu tourmenté qu'on lit ce livre, et encore plus tourmenté que l'on tente d'en faire le commentaire. Si j'ose délaisser le fond pour commenter la forme (j'entends déjà l'armée des professeurs de français se signer puis hurler au sacrilège !), je dirais que le tout fait vaguement penser à la relation littéraire ratée d'un road-movie interminable, à l'exception de certains passages proprement fulgurants, où la démence et le fantasme du narrateur s'expriment dans un style purement exceptionnel :


"Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon
âme. Lo-lii-ta : le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais
pour taper, à trois, contre les dents. Lo. Lii. Ta.

Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre
quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était
Dolly à l'école. Elle était Dolores sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle
était toujours Lolita".


Maurice Couturier, dans son introduction à l'oeuvre (Gallimard, édition 2005), exprime une pensée qui me semble résumer pleinement le débat : "Dans le cas de Lolita, le lecteur d'aujourd'hui est infiniment plus embarrassé que celui des années cinquante. Cela ne remet aucunement en question la valeur esthétique du roman mais démontre, au contraire, qu'il demeure d'une brûlante actualité et d'une troublante beauté. Car il existe une éthique de l'art qui transcende notre morale coutumière, souvent éphèmère..."

dimanche 26 avril 2009

Le tyran de Syracuse (Valerio Manfredi)


Au VIIIe siècle avant J.-C., les cités grecques établirent des comptoirs commerciaux sur la rive orientale de la Sicile. Syracuse est l’un d’entre eux. La ville imposa son hégémonie sur l’île en repoussant au Ve siècle les Carthaginois. Denys l’Ancien, dit aussi Tyran de Syracuse, régna sur la cité durant cette période, protégeant les lettres et faisant de la ville un important centre économique.

Valerio Manfredi raconte l’histoire de cet homme, de son ascension, de son règne et de sa chute. L’exercice est difficile : la vie de Denys fut riche en batailles, en amours et en rebondissements, et malgré tous les efforts de l’auteur, le lecteur ne s’y retrouve pas. Les combats succèdent aux combats, les guerriers gagnent ou perdent, les alliances se font et se défont, la chance abandonnent les uns et retrouve les autres, et l’on se retrouve avec l’amère impression d’être en train de lire un manuel d’histoire des années 30, des faits militaires qui se suivent, des grands hommes qui s’affrontent, mais sans la touche qui fait la marque des grands historiens et des grands écrivains, à savoir donner du sens et de la cohérence au récit. Car Valerio Manfredi souffre d’un immense défaut pour celui qui veut faire aimer l’histoire : il ne sait pas raconter.

L’auteur a voulu faire une fresque, mais l’on en sort noyé. Plutôt que de se concentrer sur le particulier pour faire ressortir l’universel ( ce qui aurait apporté de la légèreté au récit), l’universel écrase les personnages et leurs sentiments. Quelques anecdotes sont glissées ici ou là, mais elles donnent l’impression d’être des rajouts, écrits à la-vite, pour assouplir la lourdeur de l’histoire.

Parfois, une ébauche de réflexion se dessine, sur le pouvoir, sur le peuple, sur la politique, mais n’est jamais menée à terme. Il y aurait pourtant eu matière à développer et à éclairer notre présent par les exemples passés, notamment autour du personnage du tyran, ce chef populaire qui, dans l’antiquité grecque, exerçait son pouvoir par la force et avec l’appui du peuple, contre l’aristocratie. Là est la principale frustration pour le lecteur : s’il y a quelque chose d’actualité dans la Syracuse antique que l’on retrouve dans l’Italie berlusconienne d’aujourd’hui, c’est bien le populisme et la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme (et peut-être même pourrait-on étendre la réflexion à la France). Ou bien encore une pensée sur la capacité des démocraties à réagir fermement en temps de guerre ou de crise… Autant de sujet que le livre ne fait qu’effleurer.

samedi 18 avril 2009

La Vouivre (Marcel Aymé)


Pendant l'entre-deux-guerres, à Vaux-le-Dévers, paisible village de la campagne jurassienne, le temps s'écoule lentement. Les paysans vivent au rythme des saisons, et le maire et le curé s'affrontent au nom de leurs inébranlables certitudes, religieuses pour l'un, politiques pour l'autre. Rien ne trouble la tranquillité des lieux, lorsqu'au plus fort de l'été, Arsène Muselier, alors qu'il était aux champs, aperçut la Vouivre: 

"La Vouivre, c'est à proprement parler la fille aux serpents. Elle représente à elle seule toute la mythologie comtoise […] Dryade et naïade, indifférente aux travaux des hommes, elle parcourt les monts et les plaines du Jura, se baignant aux rivières, aux torrents, aux lacs, aux étangs. Elle porte sur ses cheveux un diadème orné d'un gros rubis, si pur que tout l'or du monde suffirait à peine à en payer le prix. Ce trésor, la Vouivre ne s'en sépare jamais que le temps de ses ablutions. Avant d'entrer dans l'eau, elle ôte son diadème et l'abandonne avec sa robe sur le rivage. C'est l'instant que choisissent les audacieux pour s'emparer du joyau, mais l'entreprise est presque sûrement vouée à l'échec. A peine le ravisseur a t-il pris la fuite que des milliers de serpents, surgis de toutes parts, se mettent à ses trousses et la seule chance qu'il ait alors de sauver sa peau est de se défaire du rubis en jetant loin de lui le diadème de la Vouivre. Certains, auxquels le désir d'être riche fait perdre la tête, ne se résignent pas à lâcher leur butin et se laissent dévorer par les serpents".
Et c'est ce qui arrivera à certains habitants. D'autres résisteront, parmi lesquels Arsène. Ce paysan, pourtant rude voire insensible avec sa propre famille, se liera d'amitié et d'amour avec la jeune fille aux serpents. Rares sont les hommes, dit-elle, qui s'intéressent à son corps plutôt qu'à son rubis. Pourtant, la Vouivre est une belle femme, à tel point qu'elle incarne, pour le curé de la paroisse d'abord incrédule, la tentation envoyée par le diable pour perdre ses ouailles. Sa richesse, son immortalité et sa beauté rendent les hommes fous ou envieux, et l'ordre des choses s'en trouve bouleversé. Dans une communauté où le travail et l'effort constituent la seule richesse, les légendes ne sont pas faîtes pour prendre un aspect réel. La Vouivre incarne la poésie parachutée dans un monde où elle ne peut pas être comprise autrement que par le prisme de la superstition ou de la punition divine. Même le maire, radical endurci, finira par succomber à la fièvre mystique.

Dans ce roman gentiment érotique, on se délecte du caractère affirmé des personnages. Il y a Requiem, le fossoyeur alcoolique, amoureux éperdu d'une fille de petite vertu qu'il croît être une princesse ; il y a la Grande Mindeur, une force de la nature, divorcée quatre fois, qui a pris le parti de dépuceler tous les jeunes garçons du village, et dont la famille tente vainement de calmer les ardeurs en lui confiant des travaux herculéens. Tout ce petit monde, qui a pourtant la tête sur les épaules, voit ses certitudes bousculées par l'apparition de la Vouivre.Où peut-être est-ce le contraire ? Au contact de ces gens, la Vouivre en viendra à se poser des questions sur sa condition. Du mortel ou de l'immortel, de l'homme ordinaire ou de la légende, qui est le plus heureux ?

"Arsène regardait la Vouivre avec un peu de compassion.
–Ce qui me fait dire ça, c'est ce que disait ma mère. Elle tricotait une chaussette en causant et je l'entends qui dit : "la Vouivre, je ne voudrais pas être d'elle. Une fille qui ne meurt pas, ce n'est pas à faire envie ; quand on est de faire une chose, si on n'en voit pas venir le bout, on ne sait pas ce qu'on fait et on ne fait autant dire rien".
Une expression de curiosité un peu inquiète anima les yeux verts de la Vouivre. Arsène poursuivit, plutôt pour lui-même que pour elle :
-Et moi, je me pensais qu'elle avait raison. Je la regardais qui tricotait sa chaussette. Je me disais que si elle n'avait pas eu déjà dans l'idée ce que serait le bout de sa chaussette, son travail n'aurait pas ressemblé à grand chose. Je me disais aussi que la vie, c'est pareil. Que pour bien la mener, il faut penser à la fin.
De son côté, la Vouivre rêvait à son destin uni et uniforme dont elle ne disposerait jamais. Il lui semblait avec évidence qu'Arsène fut maître du sien comme l'était sa mère de tricoter sa chaussette. Rien de plus rafraîchissant, de plus désirable, que de porter ainsi sa fin en soi-même et que d'y travailler maille après maille. En soupirant, elle s'allongea sur le côté et étendit le bras pour cueillir un champignon rouge qui poussait dans les fougères. Comme elle le portait à sa bouche et commençait à le croquer, Arsène l'arrêta
-Ne mange pas, bon Dieu, c'est du poison.
–Oh ! Moi, rien ne peut m'empoisonner, dit-elle en laissant le champignon rouler sur sa robe. La mort ne m'attend nulle part".

mercredi 15 avril 2009

Maurice Druon

Dans le cadre de notre grande série "Profitons de la mort d'un écrivain pour parler de ses bouquins", j'ai aujourd'hui le plaisir de vous entretenir de Maurice Druon. Au-delà de l'aspect rocambolesque du personnage, le peu qu'il m'a été donné de lire de lui m'a laissé de très bons souvenirs.







Ainsi, Tistou les Pouces Verts (roman pour enfant) a été mon premier contact avec l'oeuvre de l'Académicien. Ce n'est certes pas la littérature de jeunesse qui a fait le renom de cet auteur, mais le livre mérite de ne pas être oublié. Dans ce conte antimilitariste, le petit Tistou (dont le père est beau, riche, et marchand d'armes), par le simple pouvoir qu'il a sur les fleurs, met fin à la guerre dans le monde. Le chèvrefeuille envahit la prison et le lierre fait taire les canons, avec la complicité des deux seuls amis de Tistou : le Jardinier Moustache et son poney Gymnastique.

Rien à voir avec la jeunesse, passons aux Rois Maudits : je vais vous faire fuir si je vous dis qu'il s'agit d'une immense fresque épique et historique, donc je me contente de signaler qu'on prend un plaisir fou à découvrir une période trouble du Moyen Age, des moeurs étranges, et des secrets bien gardés. Les sept tomes et les siècles passent sans aucun temps mort, une prouesse.






samedi 11 avril 2009

Le Lion (Joseph Kessel)



Le Lion est l'histoire d'un drame au beau milieu du paradis. Au pied du Kilimandjaro, dans les années 50, une petite fille, Patricia, se lie d'amitié avec King, un lion du Kenya. Elle est entourée de son père, John Bullit, ancien chasseur et administrateur du Parc royal et de sa mère, Sybil, une femme tourmentée qui voit sa fille s'éprendre du monde sauvage et s'éloigner de celui des hommes. Dans cet univers où les paysages semblent pourtant infinis, se joue un huis-clos perturbant au sein de cette famille, sous le regard d'un visiteur qui, le temps de son passage, ira de surprise en surprise :


"J'avais le souvenir d'avoir noté la veille, en dépit de l'obscurité, que des massifs d'épineux encadraient ma hutte, et que, devant, une immense clairière s'enfonçait dans le secret de la nuit. Mais à présent, tout était enveloppé de brouillard. Pour seul repère, j'avais, juste en face, au bout du ciel, sur la cime du monde, la table cyclopéenne chargées de neiges éternelles qui couronne le Kilimandjaro. [...] Mais déjà, en ces quelques instants, l'aube tropicale, qui est d'une brièveté saisissante, avait fait place à l'aurore. Rideau après rideau, la terre ouvrait son théâtre pour les jeux du jour et du monde. Enfin, au bout de la clairière où s'accrochait encore un duvet impalpable, l'eau miroita. Auprès de l'eau étaient les bêtes".


Jospeh Kessel décrit un monde où tout équilibre est précaire, où tout est affaire de compromis, de confiance et parfois de secrets. L'harmonie des choses n'est qu'une construction des hommes, que tous supportent fébrilement sur leurs épaules pour le bonheur d'une petite fille, qui ne sait pas encore que tout à une fin...


"Le lion fit glisser son mufle de mon côté. Ses yeux allèrent une fois, deux fois, trois fois à mes mains, à mes épaules, à mon visage. Il m'étudiait. Alors, avec une stupeur émerveillée, où, instant par instant, se dissipait ma crainte, je vis dans le regard que le grand lion du Kilimandjaro tenait fixé sur moi, je vis des expressions qui m'étaient lisibles, qui appartenaient à mon espèce, que je pouvais nommer une à une : la curiosité, la bonhomie, la bienveillance, la générosité du puissant".





mercredi 1 avril 2009

Un sur Deux (Steve Mosby)

J'avais pourtant juré de ne plus toucher à un thriller avant les calendes grecques... Mais que voulez-vous, on n'a qu'une parole, il faut donc la reprendre ! D'autant que je n'ai pas été déçu, car dès les premières pages, la trame se distingue par son originalité : un tueur (et méchant en plus), décide de faire chanter des couples, et d'en tuer un sur deux. Ouh, le vilain ! Mais là où Steve Mosby révolutionne le genre, c'est que l'inspecteur chargé de l'enquête, John Mercer, est un flic dépressif, qui a des problèmes avec Eileen son épouse, et qui peine à choisir entre son couple et sa carrière.
Le tout ponctué d'envolées littéraires qui rappellent les grandes heures de Marc Lévy : "chaque étage de l'hôpital avait sa propre couleur. Au rez-de-chaussée, l'accueil et la salle d'attente étaient bleu pâle. Ici au premier étage, tout était vert délavé ou turquoise. Très hôpital, me dis-je". Ou encore des dilemmes terribles, dignes des Feux de l'Amour : "elle ne pouvait pas oublier qu'elle avait menti à Scott. Mais lui dire la vérité aurait été encore pire".
Un sur Deux, c'est donc 437 pages de frisson au prix d'un baril d'Ariel Liquide avec doseur. Une offre pareil, ça ne se rate pas !

lundi 16 mars 2009

Un brillant avenir (C. Cusset)


Le Goncourt des Lycéens semble avoir un domaine de prédilection : la petite histoire prise dans les tourments de la grande Histoire, des personnages malmenés par les événements, mais qui résistent contre vents et marées, parce que la vie vaut la peine d'être vécue. J'exagère oui, mais la ressemblance avec Le Rapport de Brodeck (Goncourt des Lycéens 2008) est frappante : une famille unie que rien ne sépare, pas même l'exode de la terre natale.


Un brillant avenir est un livre centripète : la narration part des extrémités de la vie (la jeunesse et la vieillesse d'Elena), puis les chapitres remontent ou redescendent le temps. Elena est roumaine : elle choisit de fuir la dictature de Ceaucescu et émigre, avec son fils Alexandru et son mari Jacob, en Israël d'abord, en Italie ensuite, et enfin aux Etats-Unis, où la famille s'installe définitivement. Le fil rouge est constitué par la relation trouble qu'entretient Elena avec Marie, sa belle-fille française.


C'est un livre travaillé, achevé, qui forme un tout cohérent, mais en dépit de cela, il reste difficile de voir où l'auteur veut en venir. L'amour plus fort que la mort ? L'amour par-delà les frontières ? La femme et l'amour ? Mystère.

vendredi 27 février 2009

Gloire (D. Kehlmann)


Gloire, comme le signale le sous-titre, est un roman en neuf histoires. Neuf nouvelles imbriquées les unes dans les autres, mais articulées autour d'une en particulier, "La Réponse à l'Abbesse". Dans ce récit centrale jubilatoire, un écrivain de livres de sagesse à succès, Miguel Auristos Blancos, décide dans une lettre lapidaire (voir l'extrait) de renier tout ce qu'il a professé jusqu'alors dans ses ouvrages avant de se donner la mort, un peu comme si demain Paulo Coelho (à qui Kehlmann fait probablement référence) annonçait qu'il ne croit ni en Dieu ni au destin individuel. Daniel Kehlmann dénonce ici l'histoire facile, le livre consensuel aux maximes universelles qui ne veulent rien dire, et qui prétend nous délivrer le sens de la vie.

Autour de tout cela gravitent des personnages dont la vie bascule du jour au lendemain à cause des nouvelles technologies. Le téléphone portable, Youtube et les forums internet tiennent une place de choix : ils guident nos vies, inversent la réel et le virtuel. On ne distingue plus l'écrivain et les protagonistes qu'il a crée. Les acteurs s'emparent du scénario, rébellion à tous les étages : les anonymes deviennent célèbres et les stars redeviennent des quidam.


Extrait :


"Chère abbesse, il n'y a aucune raison d'espérer et même si l'existence de Dieu se justifiait autrement que par Son absence flagrante, tout argument sensé pâlirait devant l'ampleur de la souffrance, voire devant le simple fait que la souffrance existe et que tout, depuis toujours, songez-y bien, révérende mère, est d'une telle imperfection. La seule chose qui nous aide, ce sont les mensonges réconfortants tels que la dignité incarnée dans votre sainte personne [...]

Il se leva. Pourquoi avoir écrit cela ? Ces pages représentaient une rétractation totale, l'anéantissement de l'oeuvre de sa vie, une excuse claire et concise pour avoir osé prétendre que le monde possédait un ordre et que la vie pouvait être bonne".

mardi 17 février 2009

Le mystère H. (F. Bouysse)




Les amateurs de récits mystico-ésotériques y trouveront leur compte, les autres peuvent sans problème passer leur chemin. Si les histoires de chasse au trésor et de mystères dans les îles du Pacifique vous manquent, lisez plutôt L'Ile au Trésor de Stenvenson : classique mais solide.


Chez Franck Bouysse, tout s'effrite dans la deuxième moitié du roman. Dommage, car il était parvenu à faire naître un certain suspense dans les premières pages. Mais les révélations sur la destinée de l'humanité, désolé, on n'y croit guère.

mercredi 11 février 2009

Faut-il lire la Princesse de Clèves ?

Je rapporte ici quelques échos et rélfexions personnelles d'une conférence sur le thème : littérature et démocratie. En préambule était posée cette question d'actualité : faut-il lire la princesse de Clèves ?
Nicolas Sarkozy a semble t-il été traumatisé dans sa "petite" enfance par la lecture de l'oeuvre. Il s'en est libéré une première fois en février 2006, alors qu'il n'était que candidat à la présidence de la République : « L'autre jour, je m'amusais, on s'amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur 'La Princesse de Clèves'. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de 'La Princesse de Clèves'… Imaginez un peu le spectacle ! » Il récidiva en 2008 (voir vidéo).

Voici l'occasion rêvée de raconter une étrange ironie de l'Histoire, ou quand la littérature menace la politique (mais si, c'est possible). La Princesse de Clèves est considérée comme étant le premier roman français. Avant le 17e siècle, il y avait certes déjà des écrits qui s'apparentaient au roman, mais le genre n'avait alors pas encore été codifié. Les oeuvres prenaient volontiers une ampleur incontrôlable, se complaisaient dans la démesure et surtout dans l'esprit subversif : les écrits de Rabelais ou d'Honoré d'Urfé vous offriront quelques exemples parlant. Ce n'est qu'au 17e siècle que va s'élaborer, sous l'influence du pouvoir politique, une codification du genre, qui veillera à lui donner une unité d'action, pour en contenir les excès éventuels. La Princesse de Clèves va devenir emblématique de ces procédés, et le livre est, de ce point de vue, la créature du pouvoir royal. Quatre siècles plus tard, le voilà ennemi de l'Elysée. Cherchez l'erreur...

lundi 9 février 2009

Une éducation libertine (J.-B. Del Amo)



Pour son premier roman, Jean-Baptiste Del Amo n'y va pas avec le dos de la cuillère : âmes sensibles s'abstenir. L'auteur se complaît dans la description des bas-fonds, des tabous du corps et de l'âme, de la chirurgie sans anesthésie, du Paris populaire et visiblement crasseux du 18e. Tout ce que les corps peuvent contenir de sécrétions et d'humeurs trouvent ici leur place : le sperme, la sueur, les excréments, et la salive sont à l'honneur, du moins dans la première partie du livre. Extrait :

" Paris nombril crasseux et puant de France [...] La chaleur de l'été collait aux visages comme un masque, drapait les corps de feu, suffoquait les femmes aux poitrines poisseuses. Les glandes sudorales déversaient par flots leurs humeurs. Jaillies d'aisselles velues, elles s'écoulaient des fesses aux flancs puis sur les jambes [...] Le son des voix criardes, le souffle épais des chevaux, l'expulsion suintante des crachats, les rots, les pets, les ronflements, les plaintes, les pleurs, les rires grossiers, des corps entrechoqués : tout cela formait un atroce charivari que le voyageur de passage à Paris se hâtait de fuir".

Dans ce roman d'apprentissage, Gaspard, un jeune provincial, fils d'éleveurs de porcs, débarque dans ce magma, bien décidé à refaire sa vie. Il découvrira que c'est par l'anéantissement de toute moralité qu'il s'y fera une place, au prix parfois de certaines souffrances dont aucun détail n'échappera au lecteur... Extrait :

" De l'un des tiroirs, il retira le bris de miroir. Il retourna au lit après avoir eu soin d'allumer un chandelier. La lumière goutta sur les boursouflures, les tumescences de son ventre. Les plaies ne cicatrisaient plus. Elles béaient parmi d'autres cicatrices, des caillots de sang, ouvraient leurs gueules violines, vomissaient un pus épais et brun. Il choisit une parcelle saine. L'entaille fut profonde. Gaspard bascula son visage dans l'oreiller, mordit le tissu. Il pompa le dégorgement hématique à l'aide du drap. Gaspard retira le drap, observa la coupure. Il posa de chaque côté de la plaie un index, puis tira sur les bords et les écarta..."

Il y a du Dorian Gray chez Gaspard. La laideur de son âme mutile non pas son portait, mais son ventre. Ce ventre grâce auquel, comme le découvrira le lecteur, il se fit un nom dans le beau monde. Quoi qu'il en soit, la lecture de ces pages sera une rude épreuve, elles m'ont soulevé le coeur plus d'une fois. Pour tout dire, on se moque de savoir si Paris était réellement aussi sale et sordide que ne le dit J-B Del Amo, car on éprouve, pourquoi le cacher, une sorte de jouissance malsaine en lisant le récit de ces corps malmenés et de ces rues inondées par la fange. La même jouissance que l'on ressent lorsque l'on sait que l'on transgresse un interdit, ou plutôt un non-dit. Néanmoins, cela manque encore de substance, de fond : on ne voit pas où tout cela nous mène, ni ce qu'il faut en retenir, mais le style a une puissance certaine qui ne demande qu'à s'épanouir. Prometteur donc.

mercredi 4 février 2009

La petite marchande de prose (D. Pennac)



De la saga Malaussène, c'est certainement le meilleur. On en ressort bouleversé, avec l'impression d'être passé au beau milieu d'un feu d'artifice aux mille couleurs. Daniel Pennac allie la profusion et la simplicité : il étire le réel, le triture dans tous les sens jusqu'à trouver la faille, le petit détail qui fait exploser tous les codes. Le grand art de Pennac, c'est le détournement de banalité.


Pennac mélange tout : le rire, les larmes, la peur, le suspens... Il le fait avec brio, sans jamais tomber dans la vulgarité ou la facilité. On s'attache aux personnages, même aux pires salauds, on se laisse conduire par une écriture fluide et une pensée rafraîchissante. Comble du bonheur : on nous épargne les considérations morales : les protagonistes vivent (et meurent parfois), osent tout, et c'est justement ce qu'on leur demande.

Extraits :

" - Toi, je t'aimerai toujours, dis-je.

Elle se retourne contre le mur, et elle dit seulement :

- Contente-toi de m'aimer tous les jours".

***

COUDRIER : Dites-moi, Van Thian, jusqu'où peut aller une femme quand elle a décidé de venger l'homme qu'elle aime?

VAN THIAN : ...

COUDRIER : ...

VAN THIAN : Au moins, oui.