mercredi 24 février 2010

Le mec de la tombe d'à côté (Katarina Mazetti)


Se servir une bonne rasade d'eau de rose n'a jamais fait de mal. Surtout quand elle est bien fraîche et pas trop forte. Ce qui est le cas avec ce joli livre sans prétention mais qui atteint son but, à savoir émouvoir le lecteur avec une histoire simple.

A partir d'un fond usé jusqu'à la corde (la rencontre entre deux êtres que tout oppose), Katarina Mazetti tisse une toile de sentiments sincères et donc touchants, servie par une écriture dont il faut bien reconnaître le style férocement drôle : "Robert a quarante-cinq ans, des cheveux châtains coiffés pour camoufler son crâne dégarni et quand il branche le charme, il pourrait faire tomber la culotte d'un mannequin dans une vitrine".

Tout y passe : le couple, la libido, la dispute, la réconciliation... Derrière ce qui aurait pu être un alignement de lieux communs, l'auteur a su instiller cet indéfinissable angoisse qui taraude chacun de nous : celle de l'horloge biologique, la peur de ne laisser aucune trace après la mort ou après l'amour. "Je ne laisse pas de sillons dans l'eau" s'effraie Désirée, la bibliothécaire citadine, lorsque sa passion s'émousse... On touche là au véritable fond de cette histoire qui a bien plus de valeur qu'il n'y paraît.

dimanche 21 février 2010

Au-delà du mal (Shane Stevens)



Un thriller qui ne s'essouffle pas sur 750 pages, le pari était risqué. Tenu pourtant. La collection Sonatine réserve décidément de très bonnes surprises. En publiant une histoire qui dormait dans les cartons depuis des dizaines d'années pour causes de querelles éditoriales, nous voilà propulsés aux sources du roman de serial-killer : par-delà la trame classique (la traque d'un tueur fou à travers les Etats-Unis), l'ensemble surfe sur un style épuré qui donne une fluidité hypnotisante à tout le scénario. Chaque ligne va droit au but et ne s'encombre pas de descriptions superflues.

Le secret d'une réussite ? Le roman n'est jamais pollué par la figure tutélaire du flic. Pas d'alignement de poncifs où l'on donne au lecteur de la "section spéciale" et du "en 30 ans de carrière, j'ai jamais vu ça...". Dans Au-delà du mal, un tueur et un journaliste occupent le devant de la scène. Les policiers autour ne sont que pantins ou personnages secondaires, et il est révélateur de voir à quel point le roman respire sans eux. Ici, le tueur n'est pas un pretexte à la description de scènes macabres, il n'est pas un clown sans relief dont les actes n'ont pour unique but de mettre en valeur le policier à ses trousses et ses méthodes révolutionnaires pour le coincer.

Le tueur est Thomas Bishop. Maltraité par sa mère, il la tue à l'âge de 10 ans. Interné, il s'évade pour semer la panique dans les grandes villes américaines. Son intelligence redoutable aura raison des forces lancées à sa poursuite. Shane Stevens redonne à la maladie mentale toute sa puissance séductrice et repoussante à la fois, tout ce qu'elle incarne de fantasmatique dans nos sociétés dont elle est exclue. La folie pure est décrite dans ce qu'elle a de magique aux yeux des gens dits normaux : le retournement du sens commun, l'inversion des codes moraux, font du fou cet être que l'on ne veut pas voir mais qui fascine dès qu'on l'approche, tel un serpent.

Le journaliste, Adam Kenton, est le meilleur élément de l'hebdomadaire Newstimes. Spécialement affecté par sa direction à la traque du malade, il s'efforce de penser comme lui. Au milieu de cette bataille, il y a la thématique de la peine de mort, omniprésente. Ou comment l'on exploite un fait divers, comment on le presse pour en faire sortir le jus, comment la réflexion n'a pas sa place dans l'instantanéité des faits, et comment les combats des uns et des autres ne sont que des postures opportunistes, dénuées de fondements et d'arguments, dont le seul but est de masquer l'immense médiocrité d'une pensée. Le sénateur Stoner, zélé défenseur de la peine capitale et du "bon sens" populiste, excelle dans ce rôle. On aurait tort de l'accabler pourtant, car il nous renvoie à notre propre médiocrité, celle qui nous conduit à hurler avec les loups pour mieux masquer notre hébétude devant un monde dont la logique nous échappe complètement.

mercredi 3 février 2010

L'Enchanteur (René Barjavel)



La légende des chevaliers de la Table Ronde a connu divers mauvais traitements à travers les âges : les sévices hilarants des Monty Python, les sévices animés de Walt Disney... Voici les sévices fantastiques de Barjavel. L'univers d'Arthur est un monde où l'inexplicable compte plus que la légende : tout arrive et personne ne s'étonne.

C'est joli, oui, mais l'excès de sucreries donne des maux de ventres : trop de soleils, de baisers, de fleuves, d'océans, de bravoures, de voluptés, de châteaux, d'éclairs, de dragons, de lumières, d'ombres, de chevaliers, de diables, de dieux... et pas assez d'hommes. Barjavel a voulu insister sur le côté immémorial de l'histoire, le fait que la véracité des faits importe peu face aux ressentis : mais à force de couleurs et de sensations, à force d'absence de repères tangibles, la terre s'affaisse sous les pieds du lecteur et celui-ci ne profite plus de ces lignes dont la beauté est pourtant remarquable...