vendredi 16 octobre 2009

Messieurs les Enfants (Daniel Pennac)

Il n'y pas pas de quoi s'étendre indéfiniment sur ce petit Pennac tout ce qu'il y a de plus réglementaire. Des gens ordinaires deviennent extraordinaires, trois ou quatre bonnes réflexions sur les adultes qui ont perdu leur âme d'enfant, et le tour est joué. Suivez le chef :

"En ce qui me concerne, je n'ai jamais laissé Igor m'étouffer sous les "pourquoi". Là où Tatiana s'embarquait avec une patience suspecte dans la boucle sans fin des "pourquoi, parce que, mais pourquoi, parce que..." j'ai vite fait, moi, le procès des réponses causales.
- Les enfants se foutent des causes , Tatiana. Seul le but les intéresse.
Ce qui est la vérité vraie. Qu'un moutard vous demande "pourquoi il pleut ?", la pire des réponses à lui faire concerne "les nuages...", réponse qui entraîne illico "Pourquoi les nuages ?", et vous voilà embarqué dans l'analyse complexe des précipitations atmosphériques", "Pourquoi les prézipitations ?", avec leur cortège d'anticyclones, "Et pourquoi ils viennent des Zazores ?"... Folle spirale où vous heurtez vite et fort les parois de votre incompétence, ce qui vous accule à la baffe libératrice, ou pis, au mensonge.
Non, cet âge réclame des réponses finales.
Un exemple de réponse finale ?
- Pourquoi il pleut ? demandait invariablement Igor quand nous promenions nos dimanches à la campagne.
- Hein, pourquoi il pleut ?
- Pour que les fleurs poussent, Igor."

Voilà, vous avez compris, ce n'est pas déplaisant, au contraire, cela est même grisant parfois. Une suite de réflexions bien senties, suivies d'exemples encore mieux sentis, mais malheureusement au détriment de l'histoire, son histoire, dont Daniel Pennac semble se désintéresser au plus haut point. Et une suite d'exemples sans le ciment qui les rend cohérents, ce n'est plus un roman, c'est un catalogue.

lundi 5 octobre 2009

La Vénus d'Ille (Mérimée)


Peur sur la ville. Vénus s'éveille, et elle est en colère. Un jeune homme, de chair et de sang, eut un jour la fâcheuse idée de passer au doigt de la statue la bague qu'il destinait à sa fiancée. Mal lui en prit... Le soir de la nuit de noces, jalouse, l'idole sort de sa torpeur glacée et vient mettre fin aux jours de l'amant imprudent.

Le procédé de la nouvelle fantastique du 19ème est connu : c'est bien souvent un savant, un chercheur qui raconte, et qui malgré toute sa science est témoin de faits irrationnels... Face à la statue, bien avant le drame, il ne peut lui-même éprouver autre chose qu'un frisson :

"Quant à la figure, jamais je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange, et dont le type ne se rapprochait d'aucune statue antique dont il me souvienne. Ce n'était point cette beauté calme et sévère des sculpteurs grecs, qui, par système, donnaient à tous les traits une majestueuse immobilité. Ici, au contraire, j'observais avec surprise l'intention marquée de l'artiste de rendre la malice arrivant jusqu'à la méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement : les yeux un peu obliques, la bouche relevée dans les coins, les narines quelque peu gonflées. Dédain, ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d'une incroyable beauté cependant [...] Cette expression d'ironie infernale était augmentée peut-être par le contraste des yeux incrustés d'argent et très brillants avec la patine d'un vert noirâtre que le temps avait donné à toute la statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui rappelait la réalité, la vie. Je me souvins de ce qu'avait dit mon guide, qu'elle faisait baisser les yeux à ceux qui la regardaient".

Le style de Mérimée est froid, sec, sans fioritures, et rend merveilleusement bien la fureur contenue qui se dégage de la statue. Le lecteur en ressort violenté. Malheureusement pour lui, Mérimée, pourtant Inspecteur des Monuments Historiques, ne s'attire par la reconnaissance de ses pairs avec ses nouvelles, car transparaît à travers toutes ses histoires qu'il regarde le monde avec le même oeil que celui de sa Vénus d'Ille : une froideur calculée... Néanmoins, il est dans l'air de son époque : au 18è siècle, les écrivains (Rousseau, Voltaire, Sade...) avaient à combattre la double emprise du Pouvoir et de la Religion sur la société. Au 19è sicèle, la nouvelle tyrannie, c'est la Science, et le fantastique va connaître son heure de gloire, car il met au défi les lois de la Logique et de la Raison devenues toutes puissantes. Maupassant, Poe et d'autres ont ainsi écrit des scènes horrifiantes, mais la Vénus d'Ille demeure à mes yeux le bijou précieux du genre...