lundi 28 septembre 2009

Sur les Falaises de Marbre (Ernst Jünger)

Lorsqu'en 1927, il fut proposé à Ernst Jünger de devenir député national-socialiste au Reichstag, il déclara qu'il lui semblait préférable d'écrire "un seul bon vers plutôt que de représenter 60.000 crétins". Et pourtant, Jünger fut officier allemand à Paris pendant la Seconde Guerre Mondiale. Alors, ambigu personnage ? Au contraire, parfaitement normal : un homme, simplement, qui a dénoncé le système, mais qui a refusé de déserter ou de résister. Toute l'ambivalence réside dans le choix des hauts-dirigeants nazis de ne pas faire arrêter l'écrivain, alors que celui-ci critiquait le système de l'intérieur même. Jünger, héros national depuis la guerre de 14, était inattaquable. Hitler aurait dit de lui : "on ne touche pas à Jünger".
Revenons au livre, car le contexte de l'écriture de ce roman n'est guère déterminant, même si on pourrait le croire à première vue. L'oeuvre est intemporelle : aucun repère n'est jamais donné au lecteur. Le narrateur vit retiré du monde, dans un lieu que l'on appelle la Marina. Il se consacre à la lecture et à son herbier. Mais la barbarie ensommeillée des peuples alentours est soudainement réveillée, des profondeurs des bois qui bordent les frontières septentrionales du pays, par les ardeurs guerrières et sauvages de celui que l'on nomme "le Grand Forestier".

Ce livre est d'une beauté parfaite, mais d'un ennui définitif : les métaphores du bien contre le mal, de la barbarie, des instincts primaires des hommes qui s'éveillent au contact de la rumeur, font de ce livre un récit qui assomme son lecteur. On a surtout loué Jünger pour une œuvre qui dénoncerait de façon absolue l'autoritarisme et la dictature. Mais le recul extrême de l'ouvrage, son intemporalité, son déracinement, en font une fable vide de sens, que l'on appliquera aveuglement aux régimes ou aux valeurs que l'on veut critiquer. Le détachement de toute réalité est certes une prouesse littéraire, mais il ne reste que des pages qui ne dénonceront que ce qu'on voudra bien leur faire dénoncer.

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