jeudi 9 décembre 2010

Lettre d'une inconnue (Stéphane Sweig)

Il s'agit sans nul doute d'un beau texte et d'une lettre poignante, mais il manque un je-ne-sais-quoi d'enrobage ou d'inventivité pour que tout cela n'aboutisse pas à une prose inutilement larmoyante. Une inconnue qui, depuis sa plus tendre enfance, tombe secrètement amoureuse d'un dandy qui s'obstine à ne pas la reconnaître... Le tout assorti d'un masochisme assez improbable.

lundi 6 décembre 2010

La possibilité d'une île (Michel Houellebecq)

La possibilité d'une île tente de raconter, sur plus de 500 pages, l'Homme et sa chute. Rien que ça. Et y parvient-il ? Avec votre permission, regardons dans le détail, parce qu'une chose est sûre : Houellebecq, c'est complexcq.

Daniel est un auteur à succès. Il est devenu populaire grâce à ses talents d'humoriste -un personnage qui ne va pas sans rappeler Desproges, l'humanisme en moins-. Le public l'apprécie, la critique aussi, grâce à ses textes outranciers. Réalisateur à ses heures, ses films aiment à briser les tabous occidentaux de la vieillesse, de la pédophilie, etc. Daniel n'aime pas son prochain. Peu de personnes trouvent grâce à ses yeux : la masse du peuple est abrutie par le discours ambiant et ne mérite même pas que l'on s'y attarde. En somme, il se considère comme un puissant, dans le sens où il est persuadé de faire partie de la petite caste d'hommes qui savent la nature réelle de l'humanité, sa méchanceté et son insignifiance, deux choses auxquelles il s'est résigné et où il prend sa part sans remords. Les femmes croisées (à l'exception de deux d'entre elles) ne sont que des objets sexuels, des "vagins avec de la graisse autour". Dans la deuxième moitié de sa vie, Daniel va intégrer l'église élohimite, une secte marginale selon laquelle l'homme a été crée par des êtres supérieurs venus d'ailleurs. Les Élohims poursuivent un but précis : découvrir la formule scientifique de l'immortalité.

Tout au long du livre, le récit de Daniel est entrecoupé par la narration de ses descendants "néo-humains" (Daniel25, Daniel26...). Où l'on découvre que la doctrine élohimite est arrivée à ses fins : des êtres immortels sont nés, issus de l'ADN donnés par le premier de la lignée. Ces hommes du futurs commentent avec la froideur d'un rapport d'autopsie la vie de Daniel, dont ils connaissent le déroulement grâce au "récit de vie", une pratique autobiographique à laquelle s'adonnait les adeptes de la secte. A travers ce récit de vie, les néo-humains cherchent à savoir ce que pouvaient bien signifier les notions d'amour, de désir, de douleur, de compassion... Autant de notion que la perfection de leur organisme a rendu obsolètes.

L'ensemble est froid, chaque action, chaque pensée est portée par une analyse objective de ses conséquences, dans les récits de Daniel1 comme dans ceux de ses successeurs. Le sexe tient une place omniprésente : les actes sont racontés dans la crudité la plus totale, la recherche de la jouissance est une constante. Ce qui pousse le livre à analyser, plutôt finement, reconnaissons-le, la manière dont la société contemporaine voue un culte à la jeunesse et rejette ses vieux comme des déchets incompatibles avec l'injonction de fun permanent qu'impose la société d'aujourd'hui.

Les procédés scientifiques qui permettent à la secte des Élohims de parvenir à l'immortalité sont décrits avec précision, voir avec un bavardage assez lassant qui insupportera le lecteur vers le milieu de sa lecture. En revanche, la décadence d'un monde, son inexorable autodestruction sont brillamment rendus. Le lent pourrissement de l'humanité au XXIe siècle, vu à travers le pourrissement de Daniel lui-même, forme un morceau tout à fait délectable.

Michel Houellebecq s'est construit sur la provocation : volontiers raciste, jamais avare d'une petite apologie de l'inceste, pornographe décomplexé, insultant allègrement la "bien-pensance" de gauche, ridiculisant l'écologie... Un bon vieil anar de droite. On laissera à chacun le soin de choisir son éthique politique, la question n'est pas là, même s'il s'agit de l'argument de vente numéro 1de Houellebecq, à qui on ne peut pas nier de grands talents de communicant sous ses airs de dépressif misanthrope. Par contre, toute cette agitation médiatique (Houellebecq a un faible pour citer nommément ceux qu'il dégomme et cela fait les choux gras des journaux) doit être distanciée pour apprécier à sa juste valeur un livre extrêmement moderne : toutes les questions qui agitent la société actuelle y sont posées : la fin des grands monothéismes, la bio-éthique, la jeunesse éternelle, etc. Le tout dans un style qui, même s'il dépasse souvent les bornes (il faut bien vendre) est en réalité profondément novateur.

vendredi 3 décembre 2010

Le Voisin (Tatiana de Rosnay)

Avant d'atteindre la gloire qu'on lui connaît aujourd'hui (Elle s'appelait Sarah), Tatiana de Rosnay a publié son premier roman, Le Voisin, il y a une dizaine d'années. Roman n'est d'ailleurs pas le terme exact. On a affaire à un objet littéraire non identifié, une sorte de thriller domestique, qui transforme le quotidien paisible et morne d'une femme sans histoire en cauchemar pur. 

Colombe passe une bonne partie de ses jours et de nuits seule. Son mari Stéphane est souvent absent, pris par un travail qui le mobilise souvent loin du domicile conjugal. Colombe s'occupe de leurs deux enfants et travaille dans une maison d'édition, où elle exerce le métier frustrant de nègre pour "des cons qui n'ont jamais été foutu d'écrire un livre". Ce métier ne lui convient pas tout à fait, ni la vie de famille qu'elle mène. Docile, elle fait vivre la maisonnée, aime son mari  comme une amante et ses enfants comme une mère, consciente de sa place dans le foyer.

Et puis il y a un déménagement, un nouvel immeuble, et surtout un nouveau voisin dans l'appartement du dessus. Une nuit, alors que le réveil affiche 3:16, les Rolling Stones rugissent une heure durant, en provenance de la pièce du dessus. Idem la nuit suivante, et les nuits d'après, à l'exception de celles où Stéphane dort à ses côtés. 

"Il n'y a plus que ce bruit. Impossible d'y échapper. Impossible de l'ignorer. Colombe se sent violée, investie, souillée. Elle ne peut rien faire d'autre que de le subir. Elle se lève, marche à travers sa chambre. C'est insoutenable. Son sang-froid l'abandonne. 
- Arrêtez, hurle-t-elle au plafond, arrêtez !" 

Le temps passe et une évidence s'installe aux yeux de Claire : le docteur Faucleroy, son mystérieux voisin qu'elle ne parvient jamais à rencontrer, semble avoir juré de la rendre folle par les moyens les plus pernicieux. De nature réservée, Colombe n'a pas d'autre alternative que celle de lutter, à moins de sombrer dans l'hystérie. 

Le Voisin est une œuvre totalement inattendue. Une forme insidieuse d'horreur à domicile, de menace impalpable, de danger toujours imminent, est installée avec brio par Tatiana de Rosnay. D'autant que le véritable objet du livre surprend, mais il faut attendre la fin pour le découvrir. Ce docteur Faucleroy, que l'on ne voit jamais, que l'on entend jamais (si ce n'est à travers sa chaîne stéréo), dont on ignore tout des intentions, et qui pourtant est omniprésent, devient un spectre vivant sur le palier du dessus, qui va à la fois réveiller et éveiller Colombe. Sa situation n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle de la jeune mère dans Rosemary's Baby. A lire les nuits d'insomnie pour plus de plaisir...