jeudi 20 août 2009

La chaussure sur le toit (Vincent Delecroix)

Question littérature, Vincent Delecroix est une pointure. Je sais, le jeu de mots est affligeant, mais c’est ma marque de fabrique après tout. Dix petites nouvelles, imbriquées les unes dans les autres sans ordre apparent, dont l’élément commun est une vulgaire chaussure, posée sur le toit d’un immeuble de banlieue.
Les récits s’enchaînent, le lecteur prend plaisir à s’égarer : les narrateurs racontent des histoires, mais leurs personnages aussi. Les notions de fiction et de réalité n’ont plus de sens. Difficile de raconter ce livre gigogne sans en dénaturer le propos… Je préfère encore donner au lecteur quelques extraits choisis :

Tout commence avec cette petite fille, qui au beau milieu de la nuit, appelle à son chevet son papa pour lui expliquer qu’elle vient de voir, par la fenêtre, debout sur le toit, un ange qui n’avait pas l’air gentil :

« Mine de rien, j’avais quand même réussi à lui faire regagner son lit. Elle s’était glissé sous les couvertures et je m’étais assis à côté d’elle. Il n’avait pas l’air gentil ? Non, il avait l’air triste. Mais les anges ne sont pas tristes ma chérie. Alors ce n’était pas un ange ? Ce n’est pas ce que je veux dire, mais. Non, non, je suis sûre que c’était un ange, il me regardait et il avait l’air triste. J’ai passé ma main sur ma figure. Il te regardait ? Oui, il m’a regardé pendant longtemps. Et après il s’est envolé ? Elle m’a dit dans un souffle : il n’avait pas d’ailes ».

[…] Je n’aime pas qu’il soit triste, papa. Là, je me sentais vraiment fatigué. Tu verras, lui ai-je dis, la prochaine que tu le reverras, il sera très joyeux, et il sera content de te voir dormir. Il reviendra pour chercher sa chaussure ?Je l’ai regardée avec perplexité. Pour rechercher sa chaussure ? Oui, quand il a disparu, il a laissé sa chaussure.

[…] Je suis ressorti sur la pointe des pieds. J’ai poussé un gros soupir. Je suis allé me chercher un verre d’eau à la cuisine en prenant soin de ne pas allumer la lumière. Est-ce que je dirai à Catherine que la petite a encore eu des hallucinations ? Qu’elle a vu un ange en pantalon qui a oublié sa chaussure ? […] C’est en reposant le verre d’eau que j’ai vu, par la fenêtre de la cuisine, sur le toit d’en face, une chaussure ».

Cet ange, il faut attendre la dernière nouvelle pour savoir de qui il s’agit (ceux qui souhaitent lire l’histoire ont intérêt à cesser leur lecture ici). Un type au bout du rouleau, qui avant de faire le grand plongeon décide de donner un sens à son geste :

« Les gens sont bien futiles après tout. Un rien décide de leur humeur, un rien décide de leur salut : un rien peut alors détourner leur attention de la souffrance et la fixer autre part. Il faut simplement leur donner un objet et ils y déposeront tout le malheur et le ridicule du monde. Et dans le genre ridicule, une chaussure peut très bien faire l’affaire ».

Et de fait, tous les récrits intermédiaires ne sont que des extrapolations à partir de cet élément, la chaussure. Un artiste, par exemple, en pleine crise de doute sur le sens de son œuvre :

« Pourquoi cette chaussure ? Et pourquoi cette chaussure-là ? Autrement dit, quelle est la vérité de cette chaussure ?Voilà ce que doit dire l’art. Voilà la tâche. Alors surgit, inévitable, un tableau : Les Souliers de Van Gogh, évidemment, l’écrasante vérité de ce tableau. Mais un problème se pose, le problème, qui m’occupe depuis des semaines, des mois : une paire de chaussure, ça veut dire quelque chose ; dans leur utilité prosaïque, elles signifient quelque chose. Mais une chaussure sur un toit, ça ne veut rien dire, ça ne veut rien dire du tout, ça ne signifie rien. Effrayante nudité de son être-là-sur-le-toit, obstination que cette présence oppose à toute signification… »

L’ange a réussi son pari.

1 commentaire:

  1. Juste un petit mot pour te remercier de m'avoir fait découvrir ce poème de Paul Eluard que je trouve magnifique.

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