dimanche 24 avril 2011

Les piliers de la terre (Ken Follet)

Si vous avez toujours rêvé de lire 1052 pages de maçonnerie (j'insiste sur la cédille, les mauvais esprits n'étant jamais loin), si vous êtes amateur de romances finies à la truelle, si vous aimez les guerriers bâtis à chaux et à sable, alors... vous êtes un lecteur heureux, car voici un pavé qui contrairement aux cathédrales décrites ne devrait pas résister à l'usure du temps.

lundi 14 février 2011

Le boucher (Alina Reyes)

"Le boucher affichait toujours une grande politesse avec les clientes, tout en leur rendant du regard un hommage très appuyé dès qu'elles n'étaient ni trop vieilles ni trop laides. Sans doute aurait-il aimé toucher tous ces seins et toutes ces fesses, les manipuler de ces mains expertes comme autant de beaux morceaux. Le boucher avait la chair dans l'âme".

Le boucher est la première nouvelle érotique d'Alina Reyes, qui depuis est devenue maîtresse du genre. Elle signe là un livre crû et chaud à la fois, sanguin, direct, oscillant toujours entre tendresse et violence... C'est peu dire, sans mauvais jeu de mot, qu'Alina Reyes écrit avec ses tripes.

dimanche 13 février 2011

HHhH (Laurent Binet)

 La seule chose intrigante de ce roman, c'est finalement son titre, "HHhH", pour "Himmlers Hirn heißt Heydrich", traduisez "le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich". En fait, la véritable star du livre n'est ni Heydrich, chef de la Gestapo et planificateur de la solution finale, ni les deux parachutistes tchécoslovaques envoyés par Londres avec pour mission de l'assassiner. Le seul et unique héros du roman c'est Laurent Binet lui-même, qui tient d'une main la plume et de l'autre un miroir. Il peint ainsi ce qu'il voit, un écrivain tourmenté qui n'arrive pas à choisir entre le roman et l'essai, qui hésite sur les détails, doute de sa capacité à retrouver la vérité historique, nous signale qu'il a dû aller jusqu'à Prague pour mettre la main sur tel ou tel document, etc... 

Quand Laurent Binet renonce à écrire un chapitre, cela donne trois chapitres de réflexions sur ce renoncement : on se dit alors qu'il aurait peut-être mieux valu qu'il l'écrive, son foutu chapitre. L'indécision et les scrupules ne font pas un roman, il serait bon de le rappeler à l'heure où Yannick Haenel et Laurent Binet semblent avoir trouvé un filon.

jeudi 9 décembre 2010

Lettre d'une inconnue (Stéphane Sweig)

Il s'agit sans nul doute d'un beau texte et d'une lettre poignante, mais il manque un je-ne-sais-quoi d'enrobage ou d'inventivité pour que tout cela n'aboutisse pas à une prose inutilement larmoyante. Une inconnue qui, depuis sa plus tendre enfance, tombe secrètement amoureuse d'un dandy qui s'obstine à ne pas la reconnaître... Le tout assorti d'un masochisme assez improbable.

lundi 6 décembre 2010

La possibilité d'une île (Michel Houellebecq)

La possibilité d'une île tente de raconter, sur plus de 500 pages, l'Homme et sa chute. Rien que ça. Et y parvient-il ? Avec votre permission, regardons dans le détail, parce qu'une chose est sûre : Houellebecq, c'est complexcq.

Daniel est un auteur à succès. Il est devenu populaire grâce à ses talents d'humoriste -un personnage qui ne va pas sans rappeler Desproges, l'humanisme en moins-. Le public l'apprécie, la critique aussi, grâce à ses textes outranciers. Réalisateur à ses heures, ses films aiment à briser les tabous occidentaux de la vieillesse, de la pédophilie, etc. Daniel n'aime pas son prochain. Peu de personnes trouvent grâce à ses yeux : la masse du peuple est abrutie par le discours ambiant et ne mérite même pas que l'on s'y attarde. En somme, il se considère comme un puissant, dans le sens où il est persuadé de faire partie de la petite caste d'hommes qui savent la nature réelle de l'humanité, sa méchanceté et son insignifiance, deux choses auxquelles il s'est résigné et où il prend sa part sans remords. Les femmes croisées (à l'exception de deux d'entre elles) ne sont que des objets sexuels, des "vagins avec de la graisse autour". Dans la deuxième moitié de sa vie, Daniel va intégrer l'église élohimite, une secte marginale selon laquelle l'homme a été crée par des êtres supérieurs venus d'ailleurs. Les Élohims poursuivent un but précis : découvrir la formule scientifique de l'immortalité.

Tout au long du livre, le récit de Daniel est entrecoupé par la narration de ses descendants "néo-humains" (Daniel25, Daniel26...). Où l'on découvre que la doctrine élohimite est arrivée à ses fins : des êtres immortels sont nés, issus de l'ADN donnés par le premier de la lignée. Ces hommes du futurs commentent avec la froideur d'un rapport d'autopsie la vie de Daniel, dont ils connaissent le déroulement grâce au "récit de vie", une pratique autobiographique à laquelle s'adonnait les adeptes de la secte. A travers ce récit de vie, les néo-humains cherchent à savoir ce que pouvaient bien signifier les notions d'amour, de désir, de douleur, de compassion... Autant de notion que la perfection de leur organisme a rendu obsolètes.

L'ensemble est froid, chaque action, chaque pensée est portée par une analyse objective de ses conséquences, dans les récits de Daniel1 comme dans ceux de ses successeurs. Le sexe tient une place omniprésente : les actes sont racontés dans la crudité la plus totale, la recherche de la jouissance est une constante. Ce qui pousse le livre à analyser, plutôt finement, reconnaissons-le, la manière dont la société contemporaine voue un culte à la jeunesse et rejette ses vieux comme des déchets incompatibles avec l'injonction de fun permanent qu'impose la société d'aujourd'hui.

Les procédés scientifiques qui permettent à la secte des Élohims de parvenir à l'immortalité sont décrits avec précision, voir avec un bavardage assez lassant qui insupportera le lecteur vers le milieu de sa lecture. En revanche, la décadence d'un monde, son inexorable autodestruction sont brillamment rendus. Le lent pourrissement de l'humanité au XXIe siècle, vu à travers le pourrissement de Daniel lui-même, forme un morceau tout à fait délectable.

Michel Houellebecq s'est construit sur la provocation : volontiers raciste, jamais avare d'une petite apologie de l'inceste, pornographe décomplexé, insultant allègrement la "bien-pensance" de gauche, ridiculisant l'écologie... Un bon vieil anar de droite. On laissera à chacun le soin de choisir son éthique politique, la question n'est pas là, même s'il s'agit de l'argument de vente numéro 1de Houellebecq, à qui on ne peut pas nier de grands talents de communicant sous ses airs de dépressif misanthrope. Par contre, toute cette agitation médiatique (Houellebecq a un faible pour citer nommément ceux qu'il dégomme et cela fait les choux gras des journaux) doit être distanciée pour apprécier à sa juste valeur un livre extrêmement moderne : toutes les questions qui agitent la société actuelle y sont posées : la fin des grands monothéismes, la bio-éthique, la jeunesse éternelle, etc. Le tout dans un style qui, même s'il dépasse souvent les bornes (il faut bien vendre) est en réalité profondément novateur.

vendredi 3 décembre 2010

Le Voisin (Tatiana de Rosnay)

Avant d'atteindre la gloire qu'on lui connaît aujourd'hui (Elle s'appelait Sarah), Tatiana de Rosnay a publié son premier roman, Le Voisin, il y a une dizaine d'années. Roman n'est d'ailleurs pas le terme exact. On a affaire à un objet littéraire non identifié, une sorte de thriller domestique, qui transforme le quotidien paisible et morne d'une femme sans histoire en cauchemar pur. 

Colombe passe une bonne partie de ses jours et de nuits seule. Son mari Stéphane est souvent absent, pris par un travail qui le mobilise souvent loin du domicile conjugal. Colombe s'occupe de leurs deux enfants et travaille dans une maison d'édition, où elle exerce le métier frustrant de nègre pour "des cons qui n'ont jamais été foutu d'écrire un livre". Ce métier ne lui convient pas tout à fait, ni la vie de famille qu'elle mène. Docile, elle fait vivre la maisonnée, aime son mari  comme une amante et ses enfants comme une mère, consciente de sa place dans le foyer.

Et puis il y a un déménagement, un nouvel immeuble, et surtout un nouveau voisin dans l'appartement du dessus. Une nuit, alors que le réveil affiche 3:16, les Rolling Stones rugissent une heure durant, en provenance de la pièce du dessus. Idem la nuit suivante, et les nuits d'après, à l'exception de celles où Stéphane dort à ses côtés. 

"Il n'y a plus que ce bruit. Impossible d'y échapper. Impossible de l'ignorer. Colombe se sent violée, investie, souillée. Elle ne peut rien faire d'autre que de le subir. Elle se lève, marche à travers sa chambre. C'est insoutenable. Son sang-froid l'abandonne. 
- Arrêtez, hurle-t-elle au plafond, arrêtez !" 

Le temps passe et une évidence s'installe aux yeux de Claire : le docteur Faucleroy, son mystérieux voisin qu'elle ne parvient jamais à rencontrer, semble avoir juré de la rendre folle par les moyens les plus pernicieux. De nature réservée, Colombe n'a pas d'autre alternative que celle de lutter, à moins de sombrer dans l'hystérie. 

Le Voisin est une œuvre totalement inattendue. Une forme insidieuse d'horreur à domicile, de menace impalpable, de danger toujours imminent, est installée avec brio par Tatiana de Rosnay. D'autant que le véritable objet du livre surprend, mais il faut attendre la fin pour le découvrir. Ce docteur Faucleroy, que l'on ne voit jamais, que l'on entend jamais (si ce n'est à travers sa chaîne stéréo), dont on ignore tout des intentions, et qui pourtant est omniprésent, devient un spectre vivant sur le palier du dessus, qui va à la fois réveiller et éveiller Colombe. Sa situation n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle de la jeune mère dans Rosemary's Baby. A lire les nuits d'insomnie pour plus de plaisir...

mardi 23 novembre 2010

La Reine Margot (Alexandre Dumas)

Du grand roman-feuilleton, avec ce qu'il faut de sang et de passion. Dumas explore l'histoire sans trop se soucier de la véracité des faits, et par là-même il la rend mythique : c'est bien tout ce que l'on demande à un roman historique, où, comme toujours chez Dumas, les hommes luttent contre la fureur de la destinée. Henri de Navarre, le futur Henri IV, en sait quelque chose : de sa cage dorée du Louvre, il voit passer devant lui le massacre de la Saint-Barthélémy un soir d'août 1572, les tentatives d'empoisonnement de la reine-mère Catherine de Médicis, les complots fomentés par les Guises et la fratrie royale... A ses côtés, il a sa femme, la reine Marguerite, qui n'est pas vraiment, comme le laisse croire le titre, le personnage principal du roman. Elle aidera, par calcul politique, son mari à réchapper des pièges tendus par les siens et à avancer vers le trône, marquant ainsi la fin de la dynastie des Valois et le début de celle des Bourbons. 

Au milieu de ces conspirateurs, La Mole, protestant mélancolique, et Coconnas, catholique impulsif, gentilshommes de leur état, sont les deux meilleurs amis du monde et sont pris, plus ou moins malgré eux, dans les tourmentes royales. De ce couple improbable, digne de la pire (ou de la meilleure) comédie hollywoodienne, naît pourtant un ressort comique des plus efficaces, venant apporter un souffle d'air frais dans la pesanteur des événements parisiens. Le roi Charles IX n'en sort pas indemne lui non plus, puisqu'il paraît que Dumas s'est fait pour spécialité de tourner en dérision la volonté des puissants, après Louis XIII jouet de Richelieu dans les Trois Mousquetaires, voici Charles IX jouet aux mains de sa mère Catherine.

Le tout est, nous l'avons dit, sanglant. Mais la bonne humeur que sait insuffler l'auteur dans son style et dans ses personnages surpasse toujours l'horreur, et c'est toujours avec ce sentiment bizarre de lire le script d'une pièce de boulevard, à base de tentures derrières lesquelles on se cache et de Sa Majesté que l'on manipule à distance, que l'on dévore les lignes une à une d'un roman qui, s'il gagnerait à être plus court, n'en demeure pas moins une fresque historique palpitante.



mercredi 17 novembre 2010

Les trois dames de la Kasbah (Pierre Loti)

Deux contes orientaux, pas vraiment palpitants, pas vraiment dénués d'intérêts non plus... Des soldats français découvrent Alger, ses plaisirs et ses dangers. Tout cela a bien mal vieilli...

jeudi 4 novembre 2010

Écho (Ingrid Desjours)

Des jumeaux stars du PAF et du tout-Paris sont retrouvés sauvagement assassinés dans leur appartement. Ils animaient ensemble une émission à succès dont les invités ressortaient rarement indemnes. La liste des suspects est donc longue, et ce sont un flic et une sexo-criminologue qui tenteront de faire la lumière sur cette affaire.

"Écho" offre un regard intéressant sur la perversité, le narcissisme et les faux-semblants. Le mécanisme par lequel les personnages se voient offrir à leur insu des miroirs dans lesquels ils se reconnaissent et finalement se perdent est finement décrit. Cependant, on aura rarement vu un manque d'originalité aussi flagrant dans le traitement de la personnalité des deux enquêteurs. Sans aucune épaisseur, leur portrait est dressé à coups de clichés assenés au lecteur avec un aplomb hallucinant. Il y a ce commandant de police célibataire aux hormones à fleur de peau, et surtout cette sexo-criminologue (méga bombe, méga intelligente, mais méga seule... c'est vous dire si on y croit) dont on cherche toujours à savoir ce qu'elle vient faire là-dedans, sinon donner une indispensable caution scientifique à l'histoire : en effet, si les platitudes sur les sévices de l'enfance qui ressortent à l'âge adulte vous effraient, n'approchez pas. Ses réflexions pseudo-déductives à partir d'interviews des victimes pêchées dans Télé 7 Jours sont à tomber par terre. Et je ne dirai rien des dialogues à pleurer. Seuls moments forts, les lignes écrites dans le journal intime du coupable, crues et violentes, mais surtout dégagées de toute approche psychologisante superflue. En somme, un thriller qui se lit bien et vite, mais dans le ventre mou de la production annuelle.

lundi 1 novembre 2010

Le soleil des Scorta (Laurent Gaudé)

Nés d'un viol, les Scorta sont une famille maudite. Dans le village de pêcheur de Montepuccio, au sud de l'Italie, ils vivent à l'écart et inspirent aux habitants des sentiments contradictoires de crainte, de haine et de respect. La lignée traversera ainsi le 20e siècle, prisonnière de cette terre des Pouilles qu'elle ne peut se résoudre à quitter, malgré les malheurs successifs qui la frappent.

"Le Soleil des Scorta" laisse au lecteur un sentiment mitigé. Goncourt 2004, le livre dépeint avec une puissance rare la terre brûlée par le soleil, la sueur des hommes qui la cultive et l'implacable poids du destin. La descente aux enfers assumée de Rocco Scorta, l'ancêtre de la famille, est digne de celle d'un héros de la Grèce antique. En revanche, les mésaventures et bonheurs fugaces de ses descendants n'accrochent plus aux tripes. La fatalité et l'inexorable fuite du temps accablent les personnages, qui ne semblent plus faire que vivre, pleurer et mourir. On a peine à s'émouvoir pour la descendance de cette famille, dont le portrait a été bâclé. 

dimanche 31 octobre 2010

La lectrice (Raymond Jean)

Dans la vie, le principal atout de Marie-Constance G., la trentaine, mariée et sans emploi, c'est sa voix. Elle décide de passer une annonce dans les journaux pour devenir lectrice. Elle ne pensait pas vraiment en faire une profession, mais les événements en décideront autrement. Parmi son public, on trouve la veuve d'un général, un adolescent infirme, un PDG esseulé, un notable en retraite... Tous ont besoin de sa voix, de sa présence et peut-être d'un peu plus.


"La lectrice" est un roman simple et touchant. Par le choix des textes lus d'abord. La narratrice sélectionne les œuvres en fonction de son public, elle touche juste et ce faisant pousse les gens à laisser leur retenue au vestiaire. D'autant plus que la lectrice ignore la morale : la question de savoir si ce qu'elle fait est bien ou mal aux yeux des autres ne se pose jamais. Effet désinhibant garanti. Conséquence logique : l'érotisme marque tout le roman. Rien de graveleux, mais une sensualité âpre et brute se dégage des pages à chaque geste ou parole de la lectrice. Le tout est enveloppé de l'écriture espiègle, légère et profonde de Raymond Jean qui, par ses mots, nous fait presque entendre la texture de la voix de cette femme...

mardi 26 octobre 2010

Le confident (Hélène Grémillon)

Difficile de résumer "Le Confident" : le scénario est tellement touffu, les histoires tellement imbriquées et les détails tellement importants qu'on y passerait une bonne heure. Nous dirons pour faire simple que chaque semaine, Camille, une jeune trentenaire, reçoit la lettre d'un inconnu qui lui raconte une histoire qui n'a en apparence aucun lien avec elle. Celle d'un garçon et d'une fille épris l'un de l'autre dans un petit village quelque part en France, et que la seconde guerre mondiale va séparer. 

On se plaît à penser, alors qu'on lit les premières pages, qu'Hèlene Grémillon ne s'en tire pas trop mal pour un premier roman, mais qu'elle devrait encore travailler son récit au vu des improbabilités dont il est parsemé. Et alors que l'on s'apprêtait à lui chanter la petite musique du "toi, c'est bien parce que tu es la compagne de Julien Clerc que tu as pu être publiée", on est soudain saisi par l'épaisseur du récit, par la précision des détails qui en un tournemain font d'une histoire peu crédible un roman dense et à suspens.

On respire, car en lieu et place du gentil (et usé) petit récit dramatique sur fond de guerre, on se retrouve presque aussi tourmenté que la narratrice au fur et à mesure qu'elle découvre le passé de ses parents. Sans parler du dénouement, d'un culot monstre mais d'une efficacité remarquable.

samedi 23 octobre 2010

Arlington Park (Rachel Cusk)


On comprend bien où Rachel Cusk veut en venir : des femmes s'ennuient dans leurs villas cossues. Elles regardent leurs maris gagner le pain de la maisonnée, elles regardent leurs enfants grandir, elles regardent leurs voisins dans leurs jardins, et elles analysent la vanité de la condition humaine car elles sont bien moins cruches qu'il n'y paraît. Une trame intéressante, mais que le cinéma et la télévision (voyez Desperates Housewives...) ont usé jusqu'à la corde.

Et pourtant l'auteur a l'œil acéré et mordant. Mais à trop deviner ce qu'il va se passer à la page d'après, l'attention du lecteur fléchie bien vite...

lundi 4 octobre 2010

13 heures (Deon Meyer)

Dans une interview quelconque, j'ai entendu Deon Meyer affirmer qu'il n'avait pas de style et qu'il employait les mots tels qu'ils lui venaient. C'est être bien modeste : s'il est vrai que ce monsieur n'est pas un virtuose de la plume, son écriture n'en est pas moins directe. On appelle ça un style "efficace" je crois. Droit au but, sans expressions superflues : ça suffit à sauver le livre.

Quant au fond de ce thriller sud-africain, il est d'une banalité déconcertante : un flic alcoolique, en conflit avec toute sa famille, la description des courses poursuites en bagnole dans les rues du Cap dont on se fiche éperdument  (remarquez, ça change des rues de Los Angeles) et un contre-la-montre pour sauver une jolie jeune fille innocente des mains de méchants tueurs.

Allez, je ne résiste pas à la tentation vous faire partager un moment de radio-guidage pur Google Maps Les Pages Jaunes : "ce type là-bas... James Dylan Fredericks, c'est lui qui l'a trouvée. C'est le directeur du magasin Kauai Helth Foods, dans Kloof Street. Il vient de Mitchell's Plain par le bus de Golden Arrow et se rend à pied à son travail par la gare routière". Moi j'adore !!

dimanche 5 septembre 2010

L'élégance du hérisson (Muriel Barbery)


Je cherche toujours à savoir ce qu'il y a d'élégant là-dedans. Porté par un scenario d'une naïveté déconcertante, alourdi d'un style faussement érudit et plombé par des personnages à la psychologie aussi profonde qu'une boîte de cassoulet toulousain, le livre aligne les platitudes avec une constance qui force le respect. 

Dans un immeuble bourgeois du 7 rue de Grenelle à Paris, une concierge et une enfant posent tour à tour leur regard sur le quotidien. Évidemment, la concierge, Mme Michel, est exceptionnelle : elle a lu Marx, Platon et Descartes, pense que la phénoménologie n'est qu'une vaste entourloupe, cite des réalisateurs turques des années 50, écoute Schubert et Haendel, et envisage sa condition par l'intermédiaire des grands noms de la sociologie. Bref, Muriel Barbery nous assène que sa concierge ne ressemble pas aux autres concierges, en lui faisant citer la quasi-intégralité des noms propres du Petit Larousse 2010, assortis de citations entendues au hasard sur France Culture pour faire plus vrai. Par dessus le marché et  à l'attention de ceux qui n'auraient pas bien compris, la concierge ne s'exprime qu'au moyen de phrases qui englobent d'autres phrases serties de phrases elles-mêmes incises dans des phrases plus longues. En petite Proust de fête foraine, Muriel Barbery pense qu'elle nous fera palper l'intelligence de ses protagonistes à la longueur de leur glose. 

La gamine, Paloma, 12 ans, est une petite fille de riche. Mais elle est surdouée, a conscience de la vanité de sa condition et s'en épanche copieusement dans des hukku (petits poèmes japonais) de sa fabrication qu'elle dissimule aux yeux de ses parents. Elle observe le monde qui l'entoure avec les yeux de l'enfant qui a compris ce que les adultes n'ont pas compris. En somme, on la déteste d'entrée. 

Sans trop m'avancer, je pense que le grand prix 2010 des Lieux Communs revient à L'élégance du hérisson. Ce qu'en revanche je ne m'explique toujours pas, c'est le succès en librairie de ce livre.


mercredi 1 septembre 2010

Les cerfs-volants de Kaboul (Khaled Hosseini)


En versant un peu trop dans le sentimentalisme à base de "je ne savais pas encore que plus jamais je ne le reverrai...", Khaled Hosseini dresse une fresque plus instructive que passionnante. A travers les péripéties d'un jeune Afghan, Amir, balloté entre l'invasion russe, l'installation des Talibans et le 11 septembre, c'est toute l'histoire contemporaine de ce pays qui défile sous nos yeux. Selon les passages, l'attention du lecteur sera inégalement soutenue, même si certaines scènes revêtent, il est vrai, une intensité tragique forte.

mardi 10 août 2010

La Guerre des boutons (Louis Pergaud)


Le père Simon, l'instituteur, trouvait sa classe bien sage ce matin-là. Hier dissipés et indociles, ses enfants étaient aujourd'hui des garçons modèles, buvant la parole du maître et récitant au mot près leurs leçons. C'est étrange, se disait-il, comme le climat influe sur leur comportement : la pluie les rend intenables et le soleil les apaise miraculeusement. Mais, n'en déplaise au père Simon, l'auteur rappelle alors bien à propos cet invariant pédagogique :

"Comme si les enfants, vite au courant des hypocrisies sociales, se livraient jamais en présence de ceux qui ont sur eux une parcelle d'autorité ! Leur monde est à part, ils ne sont eux-mêmes, vraiment eux-mêmes qu'entre eux et loin des regards inquisiteurs ou indiscrets. Et le soleil comme la lune n'exerçaient sur eux qu'une influence en l'occurrence bien secondaire".

Ce que ne pouvait pas savoir l'instituteur, c'est que la sagesse apparente de sa classe n'avait pour unique mobile d'éviter une retenue malencontreuse. Ce que ne pouvait pas savoir non plus l'instituteur, c'est que ce soir-là les enfants de Longeverne allaient monter au front, mener une guerre sans merci face aux gamins de Velrans, le village d'en face. Cette guerre, c'était la Guerre des boutons.

Si elle n'a laissé que peu de traces dans les livres d'histoire, la Guerre des boutons n'en fut pas moins férocement disputée. Des causes du conflit on ne connaissait rien, si ce n'est le fait que, de mémoire d'enfant, les Longevernes avaient toujours été en guerre contre les Velrans. Les prisonniers, au soir des batailles dans les prés de la Saute, étaient froidement défaits de leurs boutons, puis renvoyés dans leur camp et laissés à la vindicte de leurs parents.

Ce sont ces hauts faits que raconte la Guerre des boutons, un livre qui laisse l'arrière-goût délicieux d'un Petit Nicolas qui aurait cent ans d'avance. Car c'est lors d'une guerre d'un autre genre qu'est mort Louis Pergaud, en 1915, au cours d'une attaque dans la Meuse...


Yves Robert, La Guerre des Boutons (1961)


lundi 2 août 2010

La délicatesse (David Foenkinos)

 
Pour raconter une histoire d'amour (thème peut-être le plus rebattu de la littérature romanesque) sans ennuyer son monde, il faut être doué. C'est le cas de David Foenkinos. Moins imaginatif que Daniel Pennac, mais aussi moins moralisateur ; moins doué qu'Érik Orsenna pour le sens du détail, mais aussi moins faussement érudit. En somme, voilà un auteur qui n'a pas à rougir de se comparer aux meilleurs. Preuve à l'appui, la scène du premier rendez-vous entre François et Nathalie : 

"Il lui demanda ce qu'elle voulait boire. Son choix serait déterminant. Il pensa : si elle commande un déca, je me lève, et je m'en vais. On n'avait pas le droit de boire un déca à ce genre de rendez-vous [...] Un thé, ce n'est guère mieux. [...] On sent qu'on va passer les dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire : chez les beaux-parents [...] Alors quoi ? De l'alcool ? Non, ce n'est pas bien à cette heure-ci. On pourrait avoir peur d'une femme qui se met à boire comme ça [...] Que restait-il maintenant? Le Coca-Cola, ou tout autre type de soda.... Non, pas possible, cela ne faisait pas du tout femme. Autant demander une paille aussi, tant qu'elle y était. Finalement, il se dit qu'un jus, ce serait bien. Oui un jus, c'est sympathique. On sent la fille dosée et équilibrée. Mais quel jus ? Autant esquiver les grands classiques ; évitons la pomme ou l'orange, trop vu. Il faut être un tout petit peu original, sans toutefois être excentrique. La papaye ou la goyave, ça fait peur. Non, le mieux c'est de choisir un entre-deux, comme l'abricot. Voilà, c'est ça. Le jus d'abricot, c'est parfait. Si elle choisit ça, je l'épouse, pensa François. A cet instant précis, Nathalie releva la tête de la carte comme si elle revenait d'une longue réflexion [...]
- Je vais prendre un jus...
- ... ?
- Un jus d'abricot, je crois.
Il la regarda comme si elle était une effraction de la réalité".

Seulement François va mourir. Après plusieurs années de bonheur parfait. Écrasé en traversant la route. En se plongeant dans le travail pour oublier, Nathalie ne va pas voir venir Markus, un collègue effacé au physique modeste, timide et dans la lune. C'est le véritable héros de ce roman, qui apparaît au moment même où l'histoire menaçait de tourner en rond. Un personnage insignifiant devient le deus ex machina de l'intrigue. Le véritable talent de David Foenkinos s'exprime à partir cet instant. "Il faut avoir vécu des années dans le rien pour comprendre comment on peut être subitement effrayé par une possibilité", dit-il à propos de Markus. C'est là le fond de l'histoire.

dimanche 1 août 2010

Sans le nucléaire on s'éclairerait à la bougie (Corinne Lepage, Jean-François Bouvet)

 
Voilà un joli livre qui dénonce les idées propagées par les méchants industriels. Heureusement, en face, il y a Claude Allègre, qui écrit lui aussi des jolis livres pour dénoncer les idées propagées par les méchants écologistes. Chaque camp n'étant lu que par ses propres aficionados, le débat avance. D'ailleurs devinez pourquoi j'ai choisi ce livre-là plutôt que L'imposture climatique...


vendredi 30 juillet 2010

La désinformation par l'Éducation nationale (Christine Champion, Vladimir Volkoff)



En plus d'un style littéraire proche de celui du catalogue des 3 Suisses, "La désinformation par l'Éducation nationale" se contente d'aligner des poncifs gauchistes sur la baisse du niveau et l'instrumentalisation de l'école par le pouvoir, en se gardant bien d'apporter des réponses.

lundi 7 juin 2010

Les chaussures italiennes (Henning Mankell)



Après une grave erreur médicale sur l'une de ses patientes, Frederik Welin, chirurgien de son état, se retire de la circulation. Il trouve refuge dans la maison héritée de sa grand-mère, sur une île perdue quelque part en Suède... Il serait tombé dans l'oubli si un amour de jeunesse n'avait tenté de retrouver sa trace. Mais les années ont passé et les deux jouvenceaux ont maintenant 70 ans, beaucoup de choses à faire, et très peu de temps...

"Les chaussures italiennes" est une histoire simple dans un décor glacial. Il en faut du talent pour ne pas congeler d'ennui le lecteur. Henning Mankell a suffisamment d'habileté pour garder son public à température ambiante, mais pas assez pour déchaîner le feu de la passion.

Des vieux, des marginaux, des éclopés... C'est la société telle qu'on ne nous la montre pas qui défile sous nos yeux. Le livre a au moins le mérite d'en traiter sans fausse pudeur.


Nota : la présence d'Henning Mankell à bord de la flottille humanitaire arraisonnée au large d'Israël la semaine dernière n'a aucun lien avec ce choix de lecture.

lundi 26 avril 2010

Les prothétiques (Yan Marchand)



Dans la droite ligne de la note précédente, voici une nouvelle qui n'a rien à envier aux histoires courtes anglo-saxonnes et qui même, je peux le dire puisqu'on est entre nous, dépasse le maître... C'est une pépite que nous livre Yan Marchand, une petite chose précieuse que l'on est heureux d'avoir dénichée.


Les prothétiques mettent en scène un homme qui, atteint par le démon de Midi, envisage sérieusement de tromper sa femme. Un minuscule détail le tracasse : il aime son épouse. D'où ce dilemme : comment commettre l'adultère sans pour autant faire de mal à l'amour de sa vie ? La solution est vite trouvée : Monsieur Georges Maréchal demande à Madame Viviane Maréchal de se glisser dans la peau d'une autre, de jouer le temps d'une nuit ou d'un week-end la maîtresse qu'il n'aura jamais. Sa femme refuse dans un premier temps, puis accepte. Tout se passe alors à merveille. Femme au foyer le lundi et amante le mardi, Viviane se plonge à corps perdu dans le jeu voulu par son mari... jusqu'à la folie. Car il n'est pas simple pour un même coeur d'abriter à la fois une épouse aimante et sa pire rivale. Monsieur Maréchal s'en rendra compte trop tard.


L'histoire reprend les rouages qui ont fait le succès de la nouvelle à la Roald Dahl : une situation banale, un couple, des enfants, des collègues de bureau, une vie ordonnée et soudainement : le chaos. Deux personnes qui jouent à se faire peur, jusqu'au moment où l'une se rend compte que l'autre ne jouait pas. Une véritable scène d'effroi conjugal, voilà à quoi l'on assiste, impuissant.


Mais il y a plus. Là où beaucoup auraient clos l'ouvrage sur le point culminant de la folie, Yan Marchand continue. Qu'y a t-il derrière ce moment où tous les bons films à suspens s'arrêtent pudiquement ? Après l'acmé, les auteurs sont généralement prudents. Le risque de décevoir le lecteur en poursuivant le récit est grand. Autant continuer à faire l'amour après l'orgasme, pour vous donner une image plus... parlante. Eh bien, le tour de force des Prothétiques, c'est d'aller plus loin. Au-delà du point culminant, et sans vous révéler la fin, Yan Marchand va chercher des ressources littéraires proprement exceptionnelles, trouve un dénouement qui, par la beauté de son style comme par son inventivité, vous laisse béat...

vendredi 16 avril 2010

Gelée royale (Roald Dahl)


Les nouvelles de Roald Dahl sont absolument malsaines et sournoises. Autant le dire, c'est ce qui les rend délicieuses !

mercredi 14 avril 2010

La moisson d'hiver (Serge Brussolo)


En Normandie, dans les derniers mois de la seconde guerre mondiale, un jeune garçon revient avec sa mère sur les terres désertées que lui laisse son grand-père en héritage. Desservi par un style au ras des pâquerettes et par un scenario qui se veut grave mais tourne trop souvent aux aventures de Tom Sawyer en Normandie, ce thriller du Bocage garde une certaine consistance grâce à quelques éléments solidement exploités, notamment ce vieux manoir de famille, inoccupé depuis qu'un avion anglais a lâché une bombe dans le grenier. Le missile n'a cependant pas explosé et la maison peut partir en fumée à la moindre vibration. Or, la vieille bâtisse abrite de lourds secrets de famille, qui s'offrent au premier des téméraires qui voudra bien y entrer.



jeudi 1 avril 2010

L'attrape-coeurs (J.D. Salinger)


Il ne faudrait jamais lire les commentaires de quatrième de couverture avant d'ouvrir un livre. Au dos de L'attrape-coeurs, on y parle d'un ouvrage "puissant, dense", à la facture "d'une prodigieuse sûreté..." Comment ne pas être déçu après cela ?

Caufield, un adolescent de bonne famille, a de nouveau été renvoyé de son lycée, quelques jours avant Nöel. Avant que la nouvelle ne parvienne à ses parents, il décide de s'offrir quelque jours seul dans New York et de se laisser porter au gré de ses rencontres ou de ses envies. Caufield en a après le monde entier, comme tout adolescent qui se respecte. Sa petite soeur, Phoebé, avec qui il aime "discuter le coup", est la seule à trouver grâce à ses yeux.

La plume de l'auteur est fine : le ton rend parfaitement la pensée d'un écorché vif. Les phrases sont un mélange parfait de naïveté, de cruauté et de poésie. Elles dessinent de façon millimétrée les émois du jeune garçon, qui évolue entre les préoccupations d'un adulte et d'un enfant qui cherche vainement à savoir où vont les canards de Central Park, en hiver, quand le lac est gêlé.

Les mots tombent juste, et sont même parfois cinglants : l'éloge de la digression auquel se livre Caufield me paraît à ce titre tout à fait remarquable :

"Ce que je veux dire aussi, c'est qu'il y a tellement de fois où on sait pas ce qui est le plus intéressant avant de se mettre à parler d'un truc qui n'est pas le plus intéressant. Je veux dire qu'on peut rien y faire. Mais je pense qu'il fait laisser un gars tranquille quand au moins il est intéressant, et puis tout emballé par quelque chose. J'aime bien lorsque quelqu'un est emballé par quelque chose. C'est chouette. Vous l'avez pas connu vous, ce prof, Mr Vinson. Lui et son foutu cours. Par moments, y avait de quoi devenir maboule. Il arrêtait pas de dire d'unifier et puis de simplifier. Tout le temps. Y a des choses, c'est pas possible. Je veux dire, c'est pas possible de simplifier et d'unifier juste parce que quelqu'un le décide".

La remarque est un peu à l'image du livre. Une gigantesque digression, avec un fil rouge, la quête de soi. Peut-être faut-il être adolescent pour vraiment apprécier l'histoire. Il y a quelque chose d'universel dans tout cela, oui, mais on a aussi du mal à se sentir concerné. Cette certitude que l'on est devant quelque chose de beau, mais d'ennuyant tout à la fois, on l'a tous connu au moins une fois. Attachant, mais pas passionant, L'attrape-coeurs laisse un goût d'inachevé...

jeudi 11 mars 2010

Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates (Mary Ann Shaffer & Annie Barrows)


En 1946, à travers une correspondance suivie, une journaliste anglaise découvre l'histoire vécue par une petite communauté d'habitants de l'île de Guernesey, l'un des rares territoires britanniques occupé pendant la dernière guerre. Le résultat ? Un bon moment de lecture, que l'on oubliera aussitôt. Les ingrédients sont trop parfaitement dosés et la charpente est complètement à nue : il y a ce qu'il faut de joies et de peines, une touche d'émotion, une touche de mystère, une touche de dérision. Il y une journaliste qui cherche à s'intégrer à la petite communauté et que la petite communauté va petit à petit accepter, parce que la petite communauté est méfiante, et, comme c'est une petite communauté, elle ne veut pas laisser rentrer n'importe qui dans la petite communauté. Dans la petite communauté, il y a une orpheline, une veuve sage, une célibataire marginale (mais que la petite communauté accepte parce qu'elle est ouverte d'esprit), un poète rêveur et solitaire, un vieux bourru mais qui parle vrai... C'est donc une merveilleuse petite communauté, avec des petits particularismes et des petites anecdotes.


Je me surprends à être méchant avec ce livre. Il ne le mérite pas, j'ai réellement apprécié et pourtant tout cela dégouline trop de mièvreries. C'est comme les bonbons : un vrai plaisir sur le moment, puis quand on s'arrête un mal de ventre terrible...

mercredi 24 février 2010

Le mec de la tombe d'à côté (Katarina Mazetti)


Se servir une bonne rasade d'eau de rose n'a jamais fait de mal. Surtout quand elle est bien fraîche et pas trop forte. Ce qui est le cas avec ce joli livre sans prétention mais qui atteint son but, à savoir émouvoir le lecteur avec une histoire simple.

A partir d'un fond usé jusqu'à la corde (la rencontre entre deux êtres que tout oppose), Katarina Mazetti tisse une toile de sentiments sincères et donc touchants, servie par une écriture dont il faut bien reconnaître le style férocement drôle : "Robert a quarante-cinq ans, des cheveux châtains coiffés pour camoufler son crâne dégarni et quand il branche le charme, il pourrait faire tomber la culotte d'un mannequin dans une vitrine".

Tout y passe : le couple, la libido, la dispute, la réconciliation... Derrière ce qui aurait pu être un alignement de lieux communs, l'auteur a su instiller cet indéfinissable angoisse qui taraude chacun de nous : celle de l'horloge biologique, la peur de ne laisser aucune trace après la mort ou après l'amour. "Je ne laisse pas de sillons dans l'eau" s'effraie Désirée, la bibliothécaire citadine, lorsque sa passion s'émousse... On touche là au véritable fond de cette histoire qui a bien plus de valeur qu'il n'y paraît.

dimanche 21 février 2010

Au-delà du mal (Shane Stevens)



Un thriller qui ne s'essouffle pas sur 750 pages, le pari était risqué. Tenu pourtant. La collection Sonatine réserve décidément de très bonnes surprises. En publiant une histoire qui dormait dans les cartons depuis des dizaines d'années pour causes de querelles éditoriales, nous voilà propulsés aux sources du roman de serial-killer : par-delà la trame classique (la traque d'un tueur fou à travers les Etats-Unis), l'ensemble surfe sur un style épuré qui donne une fluidité hypnotisante à tout le scénario. Chaque ligne va droit au but et ne s'encombre pas de descriptions superflues.

Le secret d'une réussite ? Le roman n'est jamais pollué par la figure tutélaire du flic. Pas d'alignement de poncifs où l'on donne au lecteur de la "section spéciale" et du "en 30 ans de carrière, j'ai jamais vu ça...". Dans Au-delà du mal, un tueur et un journaliste occupent le devant de la scène. Les policiers autour ne sont que pantins ou personnages secondaires, et il est révélateur de voir à quel point le roman respire sans eux. Ici, le tueur n'est pas un pretexte à la description de scènes macabres, il n'est pas un clown sans relief dont les actes n'ont pour unique but de mettre en valeur le policier à ses trousses et ses méthodes révolutionnaires pour le coincer.

Le tueur est Thomas Bishop. Maltraité par sa mère, il la tue à l'âge de 10 ans. Interné, il s'évade pour semer la panique dans les grandes villes américaines. Son intelligence redoutable aura raison des forces lancées à sa poursuite. Shane Stevens redonne à la maladie mentale toute sa puissance séductrice et repoussante à la fois, tout ce qu'elle incarne de fantasmatique dans nos sociétés dont elle est exclue. La folie pure est décrite dans ce qu'elle a de magique aux yeux des gens dits normaux : le retournement du sens commun, l'inversion des codes moraux, font du fou cet être que l'on ne veut pas voir mais qui fascine dès qu'on l'approche, tel un serpent.

Le journaliste, Adam Kenton, est le meilleur élément de l'hebdomadaire Newstimes. Spécialement affecté par sa direction à la traque du malade, il s'efforce de penser comme lui. Au milieu de cette bataille, il y a la thématique de la peine de mort, omniprésente. Ou comment l'on exploite un fait divers, comment on le presse pour en faire sortir le jus, comment la réflexion n'a pas sa place dans l'instantanéité des faits, et comment les combats des uns et des autres ne sont que des postures opportunistes, dénuées de fondements et d'arguments, dont le seul but est de masquer l'immense médiocrité d'une pensée. Le sénateur Stoner, zélé défenseur de la peine capitale et du "bon sens" populiste, excelle dans ce rôle. On aurait tort de l'accabler pourtant, car il nous renvoie à notre propre médiocrité, celle qui nous conduit à hurler avec les loups pour mieux masquer notre hébétude devant un monde dont la logique nous échappe complètement.

mercredi 3 février 2010

L'Enchanteur (René Barjavel)



La légende des chevaliers de la Table Ronde a connu divers mauvais traitements à travers les âges : les sévices hilarants des Monty Python, les sévices animés de Walt Disney... Voici les sévices fantastiques de Barjavel. L'univers d'Arthur est un monde où l'inexplicable compte plus que la légende : tout arrive et personne ne s'étonne.

C'est joli, oui, mais l'excès de sucreries donne des maux de ventres : trop de soleils, de baisers, de fleuves, d'océans, de bravoures, de voluptés, de châteaux, d'éclairs, de dragons, de lumières, d'ombres, de chevaliers, de diables, de dieux... et pas assez d'hommes. Barjavel a voulu insister sur le côté immémorial de l'histoire, le fait que la véracité des faits importe peu face aux ressentis : mais à force de couleurs et de sensations, à force d'absence de repères tangibles, la terre s'affaisse sous les pieds du lecteur et celui-ci ne profite plus de ces lignes dont la beauté est pourtant remarquable...

dimanche 10 janvier 2010

Jan Karski (Yannick Haenel)


Un livre à la construction étrange, qui nous porte du témoignage direct à la narration romancée d'une histoire vraie : voilà ce que contient le livre "Jan Karski", du nom de ce Polonais, messager de la résistance intérieure de son pays, qui parcourût le monde pendant la guerre pour dénoncer l'extermination des juifs, sans jamais être entendu.

Le premier chapitre est la transcription de l'entretien que Jan Karski accorda à Claude Lanzmann, pour son film Shoah : on y découvre un homme qui s'évertue à délivrer un message "à la conscience du monde", bien des années après les faits. Le deuxième chapitre résume le livre écrit par Jan Karski, Story of a secret state, où il raconte son aventure pendant la guerre. Ces deux volets ont pour mérite de mettre en avant le sort d'un pays, la Pologne, pour lequel on fait peu de cas lorsqu'on étudie l'histoire,

Enfin, le troisième chapitre est l'essence même du livre : une fiction, qui tente d'éclairer le tourment d'un homme qui savait mais n'a rien pu faire pour convaincre les grands de ce monde d'intervenir pour empêcher les massacres. Ce que dénonce Yannick Haenel, c'est la croyance selon laquelle les Alliés sont les vertueux vainqueurs de la Deuxième Guerre Mondiale : très tôt, l'existence des camps a été connue, mais parce qu'on préférait ne pas savoir, personne n'a bougé. "Les services secrets ont fait leur travail, on savait, et tout ceux qui ont prétendu qu'ils ne savaient pas travaillaient déjà pour le mensonge. Les Anglais étaient renseignés, les Américains étaient renseignés [...] Roosevelt lui-même s'étonnait devant moi, et son étonnement n'était qu'un mensonge".


Karski était détenteur d'un message, qu'il n'a cessé de répéter à qui voulait l'entendre, mais qu'il n'a jamais pu transmettre. Tant que les récepteurs n'agissaient pas, Karski restait détenteur du message, et sa mission n'était pas remplie. Les effets pervers d'une telle situation sont très bien décrits : "Combien de fois ai-je dit qu'en Europe les Allemands exterminaient les Juifs ? En 1942, c'était une parole brûlante. En 1943, une parole désespérée. En 1944, lorsque je disais dans une petite ville du Texas, devant un parterre de dame du patronage, que les Allemands exterminaient les Juifs d'Europe, c'était juste une parole ridicule". Là réside tout l'intérêt du livre : le témoin n'existe qu'à travers ceux qui l'écoutent. Si personne n'écoute, le témoin n'existe pas.

dimanche 3 janvier 2010

La Jument Verte (Marcel Aymé)



"Au village de Claquebue naquit un jour une jument verte, non pas de ce vert pisseux qui accompagne la décrépitude chez les carnes de poil blanc, mais d'un joli vert de jade. En voyant apparaître la bête, Jules Haudoin n'en croyait ni ses yeux ni les yeux de sa femme [...]

C'était une grande nouveauté qu'une jument verte qui n'avait point de précédent connu. La chose parut remarquable, car, à Claquebue, il n'arrivait jamais rien. On se racontait que Maloret dépucelait ses filles, mais l'histoire n'intéressait plus, depuis cent ans qu'elle courait ; les Maloret en avait toujours usé ainsi avec leurs filles, on y était habitué. De temps à autre, les républicains, une demi-douzaine en tout, profitaient d'une nuit sans lune pour aller chanter La Carmagnole sous les fenêtres du curé et beugler "A bas l'Empire !". A part cela, il ne se passait rien. Alors on s'ennuyait. Et comme le temps ne passait pas, les vieillards ne mouraient pas. Il y avait vingt-huit centenaires dans la commune, sans compter les vieux d'entre soixante-dix et cent ans, qui formaient la moitié de la commune. On en avait bien abattus quelques-uns, mais de telles exécutions ne pouvaient qu'être le fait d'initiatives privées, et le village, sommeillant, perclus, ossifié, était triste comme un dimanche au paradis".


Il se passe en fait beaucoup de choses à Claquebue, mais sous la couette (ou dans les buissons, ou au fond de l'étable, ou encore sur la table de la cuisine, mais je ne vais pas tous les énumérer). Ainsi, le livre aurait tout aussi bien pu s'appeler Étude des moeurs sexuelles de la France rurale de 1870 à 1914. A travers les yeux de cette jument, dont le portrait orne les intérieurs des Haudoin de père en fils, c'est le récit détaillé des habitudes intimes d'une communauté paysanne, dont la pratique de la chose est étroitement liée à l'environnement religieux et politique bien sûr, mais aussi aux rivalités entre les familles, aux pulsions, aux calculs, et finalement peu à l'amour. Loin de moi la prétention de dire si tout cela est fondé ou pas, mais les scènes d'amour sont racontées avec une telle ironie, un tel détachement de naturaliste qui observerait une colonie d'insectes à la loupe, que c'est sans pudeur aucune que l'on se plonge dans ces histoires.
Reste une question, à laquelle je vais m'empresser de répondre : et la jument verte là-dedans ? Quelle idée de faire raconter par un tableau, certes cocasse mais un tableau quand même, ce genre d'épisodes ? C'est que la toile est l'oeuvre d'un artiste aux méthodes bien particulières, racontée bien évidemment par la jument elle-même :

"L'artiste qui me peignit n'était rien de moins que le célèbre Murdoire. Avec tous les avantages d'un grand génie, il possédait un redoutable secret que je ne livre pas sans scrupules à la méditation des peintres d'aujourd'hui [...] Lors donc que Murdoire, dans le champ des Haudoin, eut obtenu pour la première fois les faveurs de la servante, il recueillit sur sa palette l'essence de son plaisir, et d'un pinceau agile m'en toucha les deux yeux, les éveillant à cette vie mystérieuse que les amants, les neurasthéniques et les avares interrogent dans l'eau trouble de mon regard..."

vendredi 25 décembre 2009

Vendetta (R.J. Ellory)


Le retour d'un écrivain américain, R.J. Ellory, qui est en train de devenir furieusement tendance (tenez-vous bien, nous explique un encart vendu avec le bouquin, il a fait de la prison dans sa jeunesse, si ça ce n'est pas un gage de crédibilité pour un thriller madame) ! En attendant, c'est réussi : voilà ce qu'il est convenu d'appeler un véritable roman noir, dans lequel l'omniprésence du crime ne dessert pas l'histoire, mais lui donne au contraire une consistance insoupçonnée.

Un tueur à gages de la mafia, Ernesto Cabrera Perez, vient s'accuser de l'enlèvement de la fille du gouverneur de Louisiane. Il a une histoire à raconter à la police, plus précisément à un anodin fonctionnaire de New York, et lorsqu'il achèvera son récit seulement, alors il consentira peut-être à révéler l'endroit où il retient captive la jeune femme. Le dénouement est palpitant, le meurtrier incroyablement complexe, les flics terriblement ordinaires (alcooliques, perturbés...)

Ah si, une dernière chose, car je ne voudrais pas donner l'impression de me mettre à aimer inconditionnellement les thrillers américains. Le message que je vais délivrer est très important, et doit être relayé auprès des auteurs : s'il vous plaît, arrêtez de nous abreuver, nous pauvres lecteurs du monde, de la géographie de Los Angeles. Je ne connais pas Los Angeles. Je me contrefous de savoir que la West Bank Express Way traverse le pont de Jacksonville au niveau de la 37e rue. Qu'il faut bloquer la bagnole en fuite en envoyant toutes les unités disponibles sur Main Street, si possible en passant par le 3e embranchement de la Highway 658, parce qu'à cette heure-ci Sunset Boulevard est toujours encombré. Que le resto où tu trouves les meilleurs pancakes, c'est chez Tony's, à l'angle de la 8e et de 14e, en remontant vers Townhall quand tu sors d'Iberhmann Street. Bref, en un mot, si un Dieu existe quelque part, qu'il fasse en sorte que l'association des promoteurs du cadastre de Los Angeles arrête de sponsoriser les auteurs de thrillers, car cela nuit gravement à l'intérêt du lectorat.

Je coupe court aux critiques des âmes vertueuses qui s'indigneront de mon enfermement monoculturel franco-français. La description d'une course-poursuite dans les rues de Vierzon ne me ferait pas plus d'effet. Franchement, vous voyez Jean-Christophe Grangé, en plein milieu de la narration d'un double meurtre à la machette, nous expliquer qu'on trouve les meilleurs pot-aux-feux chez Paulette, à l'angle de la Rue Gaspard Vermoux et de l'impasse André Sanfrapé, en remontant vers la Z.I. du Fier-Navet ? Alors je crie haut et fort : Los Angeles, Vierzon, même combat !

vendredi 11 décembre 2009

Le Testament (John Grisham)

Peu avant sa mort, un richissime homme d'affaires américain déshérite ses enfants, à l'exception d'un seul : une fille illégitime, dont il n'a jamais parlé à personne, devenue missionnaire au Brésil, en plein Mato Grosso, à des heures de toute civilisation. Pourquoi ? Nate O'Riley, avocat au bord du gouffre, part pour la retrouver, tandis qu'aux Etats-Unis la bataille entre les héritiers dépossédés et les hommes de loi du défunt ne fait que commencer...

Le livre débute par les banalités d'usage de tout thriller à succès : une affaire de gros sous (onze milliards de dollars d'héritage, what else ?), et un avocat alcoolique, sur la fin de sa carrière. Je suis à deux doigts de plier bagages...

Et puis le miracle ! L'histoire se mue lentement en une découverte très enivrante de l'Amérique du Sud, au rythme des cours d'eau qui serpentent à travers l'Amazonie, les personnages prennent des reliefs insoupçonnés, bref : un soupçon de réalisme apparaît (quel bonheur ! ). Autant dire que cela change tout et rend l'enquête passionnante. Seule ombre au tableau : une soudaine piété mystique rend la sobrité à un buveur endurci... Ainsi soit-il.

jeudi 12 novembre 2009

Les Trois Mousquetaires (Alexandre Dumas)

De la passion, de la vengeance, des drames, des enlèvements, des duels, des retrouvailles, des escarmouches, et quatre amis. Une recette simple comme bonjour qui a permis au roman d'Alexandre Dumas de devenir un classique. S'il n'a pas inventé la poudre, l'auteur mélange des ingrédients qui font de l'histoire un cocktail détonnant. Il y a d'Artagnan, le coeur pur, qui aime Mme Bonacieux, la dame persécutée. Il y a le cardinal de Richelieu, le stratège, et son âme damnée, Milady de Winter. Il y a le simplet de service, Porthos, et le sage objecteur de conscience, Athos. Bref, tout ce que la littérature peut fournir de personnages est là : il y a même un peu trop de monde dans cette fresque pas du tout historique, qui mérite pourtant qu'on s'y attarde, car cette foule est mise en scène avec brio.

A propos, peut-être s'agit-il d'une manifestation de mon esprit détraqué, mais d'Artagnan est un protagoniste bien pâle dans cette histoire. Le véritable héros du livre est en fait une héroïne, Milady. C'est sur elle que Dumas a déversé tout son talent romanesque, faisant naître chez le lecteur pour cet être mi-femme mi-démon des sentiments aussi contradictoires qu'inquiétants.

vendredi 16 octobre 2009

Messieurs les Enfants (Daniel Pennac)

Il n'y pas pas de quoi s'étendre indéfiniment sur ce petit Pennac tout ce qu'il y a de plus réglementaire. Des gens ordinaires deviennent extraordinaires, trois ou quatre bonnes réflexions sur les adultes qui ont perdu leur âme d'enfant, et le tour est joué. Suivez le chef :

"En ce qui me concerne, je n'ai jamais laissé Igor m'étouffer sous les "pourquoi". Là où Tatiana s'embarquait avec une patience suspecte dans la boucle sans fin des "pourquoi, parce que, mais pourquoi, parce que..." j'ai vite fait, moi, le procès des réponses causales.
- Les enfants se foutent des causes , Tatiana. Seul le but les intéresse.
Ce qui est la vérité vraie. Qu'un moutard vous demande "pourquoi il pleut ?", la pire des réponses à lui faire concerne "les nuages...", réponse qui entraîne illico "Pourquoi les nuages ?", et vous voilà embarqué dans l'analyse complexe des précipitations atmosphériques", "Pourquoi les prézipitations ?", avec leur cortège d'anticyclones, "Et pourquoi ils viennent des Zazores ?"... Folle spirale où vous heurtez vite et fort les parois de votre incompétence, ce qui vous accule à la baffe libératrice, ou pis, au mensonge.
Non, cet âge réclame des réponses finales.
Un exemple de réponse finale ?
- Pourquoi il pleut ? demandait invariablement Igor quand nous promenions nos dimanches à la campagne.
- Hein, pourquoi il pleut ?
- Pour que les fleurs poussent, Igor."

Voilà, vous avez compris, ce n'est pas déplaisant, au contraire, cela est même grisant parfois. Une suite de réflexions bien senties, suivies d'exemples encore mieux sentis, mais malheureusement au détriment de l'histoire, son histoire, dont Daniel Pennac semble se désintéresser au plus haut point. Et une suite d'exemples sans le ciment qui les rend cohérents, ce n'est plus un roman, c'est un catalogue.

lundi 5 octobre 2009

La Vénus d'Ille (Mérimée)


Peur sur la ville. Vénus s'éveille, et elle est en colère. Un jeune homme, de chair et de sang, eut un jour la fâcheuse idée de passer au doigt de la statue la bague qu'il destinait à sa fiancée. Mal lui en prit... Le soir de la nuit de noces, jalouse, l'idole sort de sa torpeur glacée et vient mettre fin aux jours de l'amant imprudent.

Le procédé de la nouvelle fantastique du 19ème est connu : c'est bien souvent un savant, un chercheur qui raconte, et qui malgré toute sa science est témoin de faits irrationnels... Face à la statue, bien avant le drame, il ne peut lui-même éprouver autre chose qu'un frisson :

"Quant à la figure, jamais je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange, et dont le type ne se rapprochait d'aucune statue antique dont il me souvienne. Ce n'était point cette beauté calme et sévère des sculpteurs grecs, qui, par système, donnaient à tous les traits une majestueuse immobilité. Ici, au contraire, j'observais avec surprise l'intention marquée de l'artiste de rendre la malice arrivant jusqu'à la méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement : les yeux un peu obliques, la bouche relevée dans les coins, les narines quelque peu gonflées. Dédain, ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d'une incroyable beauté cependant [...] Cette expression d'ironie infernale était augmentée peut-être par le contraste des yeux incrustés d'argent et très brillants avec la patine d'un vert noirâtre que le temps avait donné à toute la statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui rappelait la réalité, la vie. Je me souvins de ce qu'avait dit mon guide, qu'elle faisait baisser les yeux à ceux qui la regardaient".

Le style de Mérimée est froid, sec, sans fioritures, et rend merveilleusement bien la fureur contenue qui se dégage de la statue. Le lecteur en ressort violenté. Malheureusement pour lui, Mérimée, pourtant Inspecteur des Monuments Historiques, ne s'attire par la reconnaissance de ses pairs avec ses nouvelles, car transparaît à travers toutes ses histoires qu'il regarde le monde avec le même oeil que celui de sa Vénus d'Ille : une froideur calculée... Néanmoins, il est dans l'air de son époque : au 18è siècle, les écrivains (Rousseau, Voltaire, Sade...) avaient à combattre la double emprise du Pouvoir et de la Religion sur la société. Au 19è sicèle, la nouvelle tyrannie, c'est la Science, et le fantastique va connaître son heure de gloire, car il met au défi les lois de la Logique et de la Raison devenues toutes puissantes. Maupassant, Poe et d'autres ont ainsi écrit des scènes horrifiantes, mais la Vénus d'Ille demeure à mes yeux le bijou précieux du genre...

lundi 28 septembre 2009

Sur les Falaises de Marbre (Ernst Jünger)

Lorsqu'en 1927, il fut proposé à Ernst Jünger de devenir député national-socialiste au Reichstag, il déclara qu'il lui semblait préférable d'écrire "un seul bon vers plutôt que de représenter 60.000 crétins". Et pourtant, Jünger fut officier allemand à Paris pendant la Seconde Guerre Mondiale. Alors, ambigu personnage ? Au contraire, parfaitement normal : un homme, simplement, qui a dénoncé le système, mais qui a refusé de déserter ou de résister. Toute l'ambivalence réside dans le choix des hauts-dirigeants nazis de ne pas faire arrêter l'écrivain, alors que celui-ci critiquait le système de l'intérieur même. Jünger, héros national depuis la guerre de 14, était inattaquable. Hitler aurait dit de lui : "on ne touche pas à Jünger".
Revenons au livre, car le contexte de l'écriture de ce roman n'est guère déterminant, même si on pourrait le croire à première vue. L'oeuvre est intemporelle : aucun repère n'est jamais donné au lecteur. Le narrateur vit retiré du monde, dans un lieu que l'on appelle la Marina. Il se consacre à la lecture et à son herbier. Mais la barbarie ensommeillée des peuples alentours est soudainement réveillée, des profondeurs des bois qui bordent les frontières septentrionales du pays, par les ardeurs guerrières et sauvages de celui que l'on nomme "le Grand Forestier".

Ce livre est d'une beauté parfaite, mais d'un ennui définitif : les métaphores du bien contre le mal, de la barbarie, des instincts primaires des hommes qui s'éveillent au contact de la rumeur, font de ce livre un récit qui assomme son lecteur. On a surtout loué Jünger pour une œuvre qui dénoncerait de façon absolue l'autoritarisme et la dictature. Mais le recul extrême de l'ouvrage, son intemporalité, son déracinement, en font une fable vide de sens, que l'on appliquera aveuglement aux régimes ou aux valeurs que l'on veut critiquer. Le détachement de toute réalité est certes une prouesse littéraire, mais il ne reste que des pages qui ne dénonceront que ce qu'on voudra bien leur faire dénoncer.

dimanche 27 septembre 2009

"Beaucoup de bruit pour peu de sens"

Samedi 27 septembre au matin, on écoutait avec un intérêt qui ne faiblit pas l'excellente émission de Rebecca Manzoni sur France Inter, Eclectik, que vous pouvez retrouver ici. Guillaume Erner, chroniqueur, s'était penché ce jour-là sur le traitement infligé à l'Histoire dans le documentaire Apocalypse, dont France 2 nous rebat les oreilles jusqu'à la nausée. Autopromotion, l'autre soir, juste avant le journal de 20h : des images de déportations avec une musique de fin du monde, et comble d'une bêtise crasse, les chiffres de l'audimat de la dernière diffusion qui se greffent sur l'image... L'exceptionnel battage médiatique autour de cette série documentaire aura heureusement réveillé quelques consciences, dont celle de Guillaume Erner dont je vous retranscris ici une partie de la chronique :
"A la mode cette semaine, dans les collections automne-hiver, les nouvelles tendances, c'est un défilé vert de gris sur la Pologne qui se prolonge jusqu'au Champs-Elysées. Une bande son très sympa, façon raid. La guerre la plus cool, c'est de loin la Seconde Guerre Mondiale. La Seconde Guerre Mondiale, c'est du sang, des larmes et la victoire. La victoire sur les Experts de TF1 : 7, 2 millions de téléspectateurs ! Quand tu penses qu'à Leningrad les russes n'en ont rassemblé que deux millions. Plus de trois fois plus donc sur France 2, pour un documentaire sobrement intitulé Apocalypse. Et cela donne des idées à France 2 : Patrice Duhamel a déclaré chez Morandini (celui qui, je suppose, occupe aujourd'hui le siège de Braudel au Collège de France) : "il y aura une suite à Apocalypse". Mais laquelle ? Problème, après la Seconde Guerre Mondiale, il n'y en a plus eu que des petites. Avec la guerre de Corée, même Thalassa va nous ridiculiser. Grâce à Apocalypse, on peut se réjouir que la Seconde Guerre Mondiale soit enfin accessible aux jeunes générations : images colorisées, son THX, narration d'un djeun', Matthieu Kassotivitz (brillante idée d'ailleurs de le prendre comme caution lui qui ne croit pas au 11 septembre). Mais Apocalypse remplit-il véritablement son rôle pédagogique? Sur la condamnation de la guerre, la dénonciation des abominations nazies, alors ce documentaire tient ses promesses. Mais s'il s'agit de comprendre l'événement? Alors cette suite d'images chocs, où l'on voit des bombardements, des corps, des morts et même des caleçons, ne produit que beaucoup de bruit pour peu de sens. Apocalypse (comme son nom l'indique) relève plus d'une transe religieuse que d'une démarche historique. Il ne s'agit plus d'un "passé qui ne passe pas", mais d'une permanence de l'impensée".
Pour aller plus loin, Télérama (n°3314) a consacré un article passionnant au phénomène. Les réalisateurs du documentaire y expliquent avec aplomb que les événements ont été vécus en couleurs par leurs protagonistes, et que si ils nous ont été transmis en noir et blanc, c'est uniquement pour des raisons d'insuffisances techniques.
"Une telle confusion entre le réel et l'archive, l'histoire et ses représentations, se double dans Apocalypse d'une volonté revendiquée de réactiver l'impact émotionnel des événements eux-mêmes. Mais chercher à rendre proche ce qui est lointain en le conformant aux standards du flux télévisuel, c'est aussi sacrifier au présentisme dénoncé par l'historien François Hartog -cette propension à rapprocher l'hier de l'aujourd'hui".

mardi 22 septembre 2009

Le Génie des Alpages (F'Murr)

Des brebis qui discutent métaphysique en broutant, qui construisent des abris anti-atomiques sous la montagne, qui tendent des pièges machiavéliques aux touristes, qui assistent à des éclipses de soleil en pleine nuit et qui sont jalouses de la petite amie de leur berger, ça n'existe pas dans la réalité, sauf dans l'univers de F'Murr, auteur de bandes dessinées, et notamment du Génie des Alpages, une série au grand air qui compte déjà treize épisodes.

Je ne saurais que trop vous recommander de commencer par le premier des albums, au risque de ne rien y comprendre. Certains gags sont filés sur plusieurs tomes, et la plupart des dialogues sont incompréhensibles sans un arrière-plan historique. D'autres trouveront peut-être au contraire un certain charme à s'immerger au hasard dans ces dessins... J'ai personnellement eu un peu de mal à rentrer dans l'univers de F'Murr, mais je ne regrette pas aujourd'hui d'avoir fourni ce léger effort. L'ensemble est d'une profonde poésie alpine : des paysages fixes et mouvants à la fois (le motif sur le pull d'Athanase, le berger, change à chaque vignette et la montagne est un monde que les animaux dessinent à leur gré), une petite "buvette des cimes" où il fait bon vivre et où les brebis se rendent en douce, ou encore le bélier Romuald qui, seul mâle dans ces paysages féminins, ne manque guère d'occupations...
Face à toutes ces loufoqueries, le berger et son bon chien regardent avec résignation, consternation ou amusement leur troupeau, sur lequel il n'ont plus la moindre autorité depuis bien longtemps...

vendredi 18 septembre 2009

L'Albine, Scènes de la Vie en Limousin et en Périgord Vert (Fernand Dupuy)

Je m'autorise à vous faire partager une escapade dans une région que je connais bien, puisqu'il s'agit de celle où je suis né. Rares seront ceux, je pense, qui ont connaissance de cet ouvrage, car il n'est pas de première jeunesse et il n'intéresse peut-être que ceux "du coin". Néanmoins, ce livre n'appartient pas à la veine du régionalisme et il n'est pas spécialement passéiste, donc il m'a plu... Il constate, tout simplement, qu'entre la fin de la seconde guerre mondiale et les années soixante-dix, date de parution, beaucoup de choses ont changé. L'auteur, instituteur et député communiste, s'est éteint en 1999 à Limoges. Il laisse là une confession qui n'a rien d'un chef d'oeuvre en prose, mais dont la sincérité est évidente.

Des passages légers, des anecdotes, il y en a beaucoup. Mais parfois, derrière les petites histoires des repas du dimanche, se cachent des habitudes lourdes de sens :

"Je n'avais guère plus de huit ou neuf ans. Au cours d'un repas, je taillais une tranche de pain et je replaçais, tout à fait par hasard, la tourte sur le dos. Mon grand-père la remit sur le ventre. Un moment plus tard, je recommençais un peu moins innocemment peut-être mais sans vraiment penser à mal. Mon grand-père remit la tourte à l'endroit d'un geste brusque mais sans rien dire. Je sentais bien qu'il y avait quelque chose qui déplaisait à mon grand-père quand la tourte était sur le dos, mais pourquoi ? Je n'arrivais pas à comprendre. Alors, de propos délibéré cette fois, pour savoir, je retournais la tourte.

Mon grand-père se dressa, le visage empourpré de colère, prit la tourte à deux mains, la retourna et la planqua sur la table avec une violence inouïe.

"Noum dè di, piti, nou dè di" !

Je crus qu'il allait me battre. Lui qui ne jurait jamais, qui jamais ne se fâchait, voilà qu'il était hors de lui. Ma grand-mère et ma petite soeur étaient atterrées.

"Il n'y a que les putains qui gagnent leur pain sur le dos. Tu comprends ? Les putains. Moi je ne le gagne pas couché sur le dos. Tu as compris ?"