dimanche 26 avril 2009

Le tyran de Syracuse (Valerio Manfredi)


Au VIIIe siècle avant J.-C., les cités grecques établirent des comptoirs commerciaux sur la rive orientale de la Sicile. Syracuse est l’un d’entre eux. La ville imposa son hégémonie sur l’île en repoussant au Ve siècle les Carthaginois. Denys l’Ancien, dit aussi Tyran de Syracuse, régna sur la cité durant cette période, protégeant les lettres et faisant de la ville un important centre économique.

Valerio Manfredi raconte l’histoire de cet homme, de son ascension, de son règne et de sa chute. L’exercice est difficile : la vie de Denys fut riche en batailles, en amours et en rebondissements, et malgré tous les efforts de l’auteur, le lecteur ne s’y retrouve pas. Les combats succèdent aux combats, les guerriers gagnent ou perdent, les alliances se font et se défont, la chance abandonnent les uns et retrouve les autres, et l’on se retrouve avec l’amère impression d’être en train de lire un manuel d’histoire des années 30, des faits militaires qui se suivent, des grands hommes qui s’affrontent, mais sans la touche qui fait la marque des grands historiens et des grands écrivains, à savoir donner du sens et de la cohérence au récit. Car Valerio Manfredi souffre d’un immense défaut pour celui qui veut faire aimer l’histoire : il ne sait pas raconter.

L’auteur a voulu faire une fresque, mais l’on en sort noyé. Plutôt que de se concentrer sur le particulier pour faire ressortir l’universel ( ce qui aurait apporté de la légèreté au récit), l’universel écrase les personnages et leurs sentiments. Quelques anecdotes sont glissées ici ou là, mais elles donnent l’impression d’être des rajouts, écrits à la-vite, pour assouplir la lourdeur de l’histoire.

Parfois, une ébauche de réflexion se dessine, sur le pouvoir, sur le peuple, sur la politique, mais n’est jamais menée à terme. Il y aurait pourtant eu matière à développer et à éclairer notre présent par les exemples passés, notamment autour du personnage du tyran, ce chef populaire qui, dans l’antiquité grecque, exerçait son pouvoir par la force et avec l’appui du peuple, contre l’aristocratie. Là est la principale frustration pour le lecteur : s’il y a quelque chose d’actualité dans la Syracuse antique que l’on retrouve dans l’Italie berlusconienne d’aujourd’hui, c’est bien le populisme et la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme (et peut-être même pourrait-on étendre la réflexion à la France). Ou bien encore une pensée sur la capacité des démocraties à réagir fermement en temps de guerre ou de crise… Autant de sujet que le livre ne fait qu’effleurer.

samedi 18 avril 2009

La Vouivre (Marcel Aymé)


Pendant l'entre-deux-guerres, à Vaux-le-Dévers, paisible village de la campagne jurassienne, le temps s'écoule lentement. Les paysans vivent au rythme des saisons, et le maire et le curé s'affrontent au nom de leurs inébranlables certitudes, religieuses pour l'un, politiques pour l'autre. Rien ne trouble la tranquillité des lieux, lorsqu'au plus fort de l'été, Arsène Muselier, alors qu'il était aux champs, aperçut la Vouivre: 

"La Vouivre, c'est à proprement parler la fille aux serpents. Elle représente à elle seule toute la mythologie comtoise […] Dryade et naïade, indifférente aux travaux des hommes, elle parcourt les monts et les plaines du Jura, se baignant aux rivières, aux torrents, aux lacs, aux étangs. Elle porte sur ses cheveux un diadème orné d'un gros rubis, si pur que tout l'or du monde suffirait à peine à en payer le prix. Ce trésor, la Vouivre ne s'en sépare jamais que le temps de ses ablutions. Avant d'entrer dans l'eau, elle ôte son diadème et l'abandonne avec sa robe sur le rivage. C'est l'instant que choisissent les audacieux pour s'emparer du joyau, mais l'entreprise est presque sûrement vouée à l'échec. A peine le ravisseur a t-il pris la fuite que des milliers de serpents, surgis de toutes parts, se mettent à ses trousses et la seule chance qu'il ait alors de sauver sa peau est de se défaire du rubis en jetant loin de lui le diadème de la Vouivre. Certains, auxquels le désir d'être riche fait perdre la tête, ne se résignent pas à lâcher leur butin et se laissent dévorer par les serpents".
Et c'est ce qui arrivera à certains habitants. D'autres résisteront, parmi lesquels Arsène. Ce paysan, pourtant rude voire insensible avec sa propre famille, se liera d'amitié et d'amour avec la jeune fille aux serpents. Rares sont les hommes, dit-elle, qui s'intéressent à son corps plutôt qu'à son rubis. Pourtant, la Vouivre est une belle femme, à tel point qu'elle incarne, pour le curé de la paroisse d'abord incrédule, la tentation envoyée par le diable pour perdre ses ouailles. Sa richesse, son immortalité et sa beauté rendent les hommes fous ou envieux, et l'ordre des choses s'en trouve bouleversé. Dans une communauté où le travail et l'effort constituent la seule richesse, les légendes ne sont pas faîtes pour prendre un aspect réel. La Vouivre incarne la poésie parachutée dans un monde où elle ne peut pas être comprise autrement que par le prisme de la superstition ou de la punition divine. Même le maire, radical endurci, finira par succomber à la fièvre mystique.

Dans ce roman gentiment érotique, on se délecte du caractère affirmé des personnages. Il y a Requiem, le fossoyeur alcoolique, amoureux éperdu d'une fille de petite vertu qu'il croît être une princesse ; il y a la Grande Mindeur, une force de la nature, divorcée quatre fois, qui a pris le parti de dépuceler tous les jeunes garçons du village, et dont la famille tente vainement de calmer les ardeurs en lui confiant des travaux herculéens. Tout ce petit monde, qui a pourtant la tête sur les épaules, voit ses certitudes bousculées par l'apparition de la Vouivre.Où peut-être est-ce le contraire ? Au contact de ces gens, la Vouivre en viendra à se poser des questions sur sa condition. Du mortel ou de l'immortel, de l'homme ordinaire ou de la légende, qui est le plus heureux ?

"Arsène regardait la Vouivre avec un peu de compassion.
–Ce qui me fait dire ça, c'est ce que disait ma mère. Elle tricotait une chaussette en causant et je l'entends qui dit : "la Vouivre, je ne voudrais pas être d'elle. Une fille qui ne meurt pas, ce n'est pas à faire envie ; quand on est de faire une chose, si on n'en voit pas venir le bout, on ne sait pas ce qu'on fait et on ne fait autant dire rien".
Une expression de curiosité un peu inquiète anima les yeux verts de la Vouivre. Arsène poursuivit, plutôt pour lui-même que pour elle :
-Et moi, je me pensais qu'elle avait raison. Je la regardais qui tricotait sa chaussette. Je me disais que si elle n'avait pas eu déjà dans l'idée ce que serait le bout de sa chaussette, son travail n'aurait pas ressemblé à grand chose. Je me disais aussi que la vie, c'est pareil. Que pour bien la mener, il faut penser à la fin.
De son côté, la Vouivre rêvait à son destin uni et uniforme dont elle ne disposerait jamais. Il lui semblait avec évidence qu'Arsène fut maître du sien comme l'était sa mère de tricoter sa chaussette. Rien de plus rafraîchissant, de plus désirable, que de porter ainsi sa fin en soi-même et que d'y travailler maille après maille. En soupirant, elle s'allongea sur le côté et étendit le bras pour cueillir un champignon rouge qui poussait dans les fougères. Comme elle le portait à sa bouche et commençait à le croquer, Arsène l'arrêta
-Ne mange pas, bon Dieu, c'est du poison.
–Oh ! Moi, rien ne peut m'empoisonner, dit-elle en laissant le champignon rouler sur sa robe. La mort ne m'attend nulle part".

mercredi 15 avril 2009

Maurice Druon

Dans le cadre de notre grande série "Profitons de la mort d'un écrivain pour parler de ses bouquins", j'ai aujourd'hui le plaisir de vous entretenir de Maurice Druon. Au-delà de l'aspect rocambolesque du personnage, le peu qu'il m'a été donné de lire de lui m'a laissé de très bons souvenirs.







Ainsi, Tistou les Pouces Verts (roman pour enfant) a été mon premier contact avec l'oeuvre de l'Académicien. Ce n'est certes pas la littérature de jeunesse qui a fait le renom de cet auteur, mais le livre mérite de ne pas être oublié. Dans ce conte antimilitariste, le petit Tistou (dont le père est beau, riche, et marchand d'armes), par le simple pouvoir qu'il a sur les fleurs, met fin à la guerre dans le monde. Le chèvrefeuille envahit la prison et le lierre fait taire les canons, avec la complicité des deux seuls amis de Tistou : le Jardinier Moustache et son poney Gymnastique.

Rien à voir avec la jeunesse, passons aux Rois Maudits : je vais vous faire fuir si je vous dis qu'il s'agit d'une immense fresque épique et historique, donc je me contente de signaler qu'on prend un plaisir fou à découvrir une période trouble du Moyen Age, des moeurs étranges, et des secrets bien gardés. Les sept tomes et les siècles passent sans aucun temps mort, une prouesse.






samedi 11 avril 2009

Le Lion (Joseph Kessel)



Le Lion est l'histoire d'un drame au beau milieu du paradis. Au pied du Kilimandjaro, dans les années 50, une petite fille, Patricia, se lie d'amitié avec King, un lion du Kenya. Elle est entourée de son père, John Bullit, ancien chasseur et administrateur du Parc royal et de sa mère, Sybil, une femme tourmentée qui voit sa fille s'éprendre du monde sauvage et s'éloigner de celui des hommes. Dans cet univers où les paysages semblent pourtant infinis, se joue un huis-clos perturbant au sein de cette famille, sous le regard d'un visiteur qui, le temps de son passage, ira de surprise en surprise :


"J'avais le souvenir d'avoir noté la veille, en dépit de l'obscurité, que des massifs d'épineux encadraient ma hutte, et que, devant, une immense clairière s'enfonçait dans le secret de la nuit. Mais à présent, tout était enveloppé de brouillard. Pour seul repère, j'avais, juste en face, au bout du ciel, sur la cime du monde, la table cyclopéenne chargées de neiges éternelles qui couronne le Kilimandjaro. [...] Mais déjà, en ces quelques instants, l'aube tropicale, qui est d'une brièveté saisissante, avait fait place à l'aurore. Rideau après rideau, la terre ouvrait son théâtre pour les jeux du jour et du monde. Enfin, au bout de la clairière où s'accrochait encore un duvet impalpable, l'eau miroita. Auprès de l'eau étaient les bêtes".


Jospeh Kessel décrit un monde où tout équilibre est précaire, où tout est affaire de compromis, de confiance et parfois de secrets. L'harmonie des choses n'est qu'une construction des hommes, que tous supportent fébrilement sur leurs épaules pour le bonheur d'une petite fille, qui ne sait pas encore que tout à une fin...


"Le lion fit glisser son mufle de mon côté. Ses yeux allèrent une fois, deux fois, trois fois à mes mains, à mes épaules, à mon visage. Il m'étudiait. Alors, avec une stupeur émerveillée, où, instant par instant, se dissipait ma crainte, je vis dans le regard que le grand lion du Kilimandjaro tenait fixé sur moi, je vis des expressions qui m'étaient lisibles, qui appartenaient à mon espèce, que je pouvais nommer une à une : la curiosité, la bonhomie, la bienveillance, la générosité du puissant".





mercredi 1 avril 2009

Un sur Deux (Steve Mosby)

J'avais pourtant juré de ne plus toucher à un thriller avant les calendes grecques... Mais que voulez-vous, on n'a qu'une parole, il faut donc la reprendre ! D'autant que je n'ai pas été déçu, car dès les premières pages, la trame se distingue par son originalité : un tueur (et méchant en plus), décide de faire chanter des couples, et d'en tuer un sur deux. Ouh, le vilain ! Mais là où Steve Mosby révolutionne le genre, c'est que l'inspecteur chargé de l'enquête, John Mercer, est un flic dépressif, qui a des problèmes avec Eileen son épouse, et qui peine à choisir entre son couple et sa carrière.
Le tout ponctué d'envolées littéraires qui rappellent les grandes heures de Marc Lévy : "chaque étage de l'hôpital avait sa propre couleur. Au rez-de-chaussée, l'accueil et la salle d'attente étaient bleu pâle. Ici au premier étage, tout était vert délavé ou turquoise. Très hôpital, me dis-je". Ou encore des dilemmes terribles, dignes des Feux de l'Amour : "elle ne pouvait pas oublier qu'elle avait menti à Scott. Mais lui dire la vérité aurait été encore pire".
Un sur Deux, c'est donc 437 pages de frisson au prix d'un baril d'Ariel Liquide avec doseur. Une offre pareil, ça ne se rate pas !