vendredi 27 février 2009

Gloire (D. Kehlmann)


Gloire, comme le signale le sous-titre, est un roman en neuf histoires. Neuf nouvelles imbriquées les unes dans les autres, mais articulées autour d'une en particulier, "La Réponse à l'Abbesse". Dans ce récit centrale jubilatoire, un écrivain de livres de sagesse à succès, Miguel Auristos Blancos, décide dans une lettre lapidaire (voir l'extrait) de renier tout ce qu'il a professé jusqu'alors dans ses ouvrages avant de se donner la mort, un peu comme si demain Paulo Coelho (à qui Kehlmann fait probablement référence) annonçait qu'il ne croit ni en Dieu ni au destin individuel. Daniel Kehlmann dénonce ici l'histoire facile, le livre consensuel aux maximes universelles qui ne veulent rien dire, et qui prétend nous délivrer le sens de la vie.

Autour de tout cela gravitent des personnages dont la vie bascule du jour au lendemain à cause des nouvelles technologies. Le téléphone portable, Youtube et les forums internet tiennent une place de choix : ils guident nos vies, inversent la réel et le virtuel. On ne distingue plus l'écrivain et les protagonistes qu'il a crée. Les acteurs s'emparent du scénario, rébellion à tous les étages : les anonymes deviennent célèbres et les stars redeviennent des quidam.


Extrait :


"Chère abbesse, il n'y a aucune raison d'espérer et même si l'existence de Dieu se justifiait autrement que par Son absence flagrante, tout argument sensé pâlirait devant l'ampleur de la souffrance, voire devant le simple fait que la souffrance existe et que tout, depuis toujours, songez-y bien, révérende mère, est d'une telle imperfection. La seule chose qui nous aide, ce sont les mensonges réconfortants tels que la dignité incarnée dans votre sainte personne [...]

Il se leva. Pourquoi avoir écrit cela ? Ces pages représentaient une rétractation totale, l'anéantissement de l'oeuvre de sa vie, une excuse claire et concise pour avoir osé prétendre que le monde possédait un ordre et que la vie pouvait être bonne".

mardi 17 février 2009

Le mystère H. (F. Bouysse)




Les amateurs de récits mystico-ésotériques y trouveront leur compte, les autres peuvent sans problème passer leur chemin. Si les histoires de chasse au trésor et de mystères dans les îles du Pacifique vous manquent, lisez plutôt L'Ile au Trésor de Stenvenson : classique mais solide.


Chez Franck Bouysse, tout s'effrite dans la deuxième moitié du roman. Dommage, car il était parvenu à faire naître un certain suspense dans les premières pages. Mais les révélations sur la destinée de l'humanité, désolé, on n'y croit guère.

mercredi 11 février 2009

Faut-il lire la Princesse de Clèves ?

Je rapporte ici quelques échos et rélfexions personnelles d'une conférence sur le thème : littérature et démocratie. En préambule était posée cette question d'actualité : faut-il lire la princesse de Clèves ?
Nicolas Sarkozy a semble t-il été traumatisé dans sa "petite" enfance par la lecture de l'oeuvre. Il s'en est libéré une première fois en février 2006, alors qu'il n'était que candidat à la présidence de la République : « L'autre jour, je m'amusais, on s'amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur 'La Princesse de Clèves'. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de 'La Princesse de Clèves'… Imaginez un peu le spectacle ! » Il récidiva en 2008 (voir vidéo).

Voici l'occasion rêvée de raconter une étrange ironie de l'Histoire, ou quand la littérature menace la politique (mais si, c'est possible). La Princesse de Clèves est considérée comme étant le premier roman français. Avant le 17e siècle, il y avait certes déjà des écrits qui s'apparentaient au roman, mais le genre n'avait alors pas encore été codifié. Les oeuvres prenaient volontiers une ampleur incontrôlable, se complaisaient dans la démesure et surtout dans l'esprit subversif : les écrits de Rabelais ou d'Honoré d'Urfé vous offriront quelques exemples parlant. Ce n'est qu'au 17e siècle que va s'élaborer, sous l'influence du pouvoir politique, une codification du genre, qui veillera à lui donner une unité d'action, pour en contenir les excès éventuels. La Princesse de Clèves va devenir emblématique de ces procédés, et le livre est, de ce point de vue, la créature du pouvoir royal. Quatre siècles plus tard, le voilà ennemi de l'Elysée. Cherchez l'erreur...

lundi 9 février 2009

Une éducation libertine (J.-B. Del Amo)



Pour son premier roman, Jean-Baptiste Del Amo n'y va pas avec le dos de la cuillère : âmes sensibles s'abstenir. L'auteur se complaît dans la description des bas-fonds, des tabous du corps et de l'âme, de la chirurgie sans anesthésie, du Paris populaire et visiblement crasseux du 18e. Tout ce que les corps peuvent contenir de sécrétions et d'humeurs trouvent ici leur place : le sperme, la sueur, les excréments, et la salive sont à l'honneur, du moins dans la première partie du livre. Extrait :

" Paris nombril crasseux et puant de France [...] La chaleur de l'été collait aux visages comme un masque, drapait les corps de feu, suffoquait les femmes aux poitrines poisseuses. Les glandes sudorales déversaient par flots leurs humeurs. Jaillies d'aisselles velues, elles s'écoulaient des fesses aux flancs puis sur les jambes [...] Le son des voix criardes, le souffle épais des chevaux, l'expulsion suintante des crachats, les rots, les pets, les ronflements, les plaintes, les pleurs, les rires grossiers, des corps entrechoqués : tout cela formait un atroce charivari que le voyageur de passage à Paris se hâtait de fuir".

Dans ce roman d'apprentissage, Gaspard, un jeune provincial, fils d'éleveurs de porcs, débarque dans ce magma, bien décidé à refaire sa vie. Il découvrira que c'est par l'anéantissement de toute moralité qu'il s'y fera une place, au prix parfois de certaines souffrances dont aucun détail n'échappera au lecteur... Extrait :

" De l'un des tiroirs, il retira le bris de miroir. Il retourna au lit après avoir eu soin d'allumer un chandelier. La lumière goutta sur les boursouflures, les tumescences de son ventre. Les plaies ne cicatrisaient plus. Elles béaient parmi d'autres cicatrices, des caillots de sang, ouvraient leurs gueules violines, vomissaient un pus épais et brun. Il choisit une parcelle saine. L'entaille fut profonde. Gaspard bascula son visage dans l'oreiller, mordit le tissu. Il pompa le dégorgement hématique à l'aide du drap. Gaspard retira le drap, observa la coupure. Il posa de chaque côté de la plaie un index, puis tira sur les bords et les écarta..."

Il y a du Dorian Gray chez Gaspard. La laideur de son âme mutile non pas son portait, mais son ventre. Ce ventre grâce auquel, comme le découvrira le lecteur, il se fit un nom dans le beau monde. Quoi qu'il en soit, la lecture de ces pages sera une rude épreuve, elles m'ont soulevé le coeur plus d'une fois. Pour tout dire, on se moque de savoir si Paris était réellement aussi sale et sordide que ne le dit J-B Del Amo, car on éprouve, pourquoi le cacher, une sorte de jouissance malsaine en lisant le récit de ces corps malmenés et de ces rues inondées par la fange. La même jouissance que l'on ressent lorsque l'on sait que l'on transgresse un interdit, ou plutôt un non-dit. Néanmoins, cela manque encore de substance, de fond : on ne voit pas où tout cela nous mène, ni ce qu'il faut en retenir, mais le style a une puissance certaine qui ne demande qu'à s'épanouir. Prometteur donc.

mercredi 4 février 2009

La petite marchande de prose (D. Pennac)



De la saga Malaussène, c'est certainement le meilleur. On en ressort bouleversé, avec l'impression d'être passé au beau milieu d'un feu d'artifice aux mille couleurs. Daniel Pennac allie la profusion et la simplicité : il étire le réel, le triture dans tous les sens jusqu'à trouver la faille, le petit détail qui fait exploser tous les codes. Le grand art de Pennac, c'est le détournement de banalité.


Pennac mélange tout : le rire, les larmes, la peur, le suspens... Il le fait avec brio, sans jamais tomber dans la vulgarité ou la facilité. On s'attache aux personnages, même aux pires salauds, on se laisse conduire par une écriture fluide et une pensée rafraîchissante. Comble du bonheur : on nous épargne les considérations morales : les protagonistes vivent (et meurent parfois), osent tout, et c'est justement ce qu'on leur demande.

Extraits :

" - Toi, je t'aimerai toujours, dis-je.

Elle se retourne contre le mur, et elle dit seulement :

- Contente-toi de m'aimer tous les jours".

***

COUDRIER : Dites-moi, Van Thian, jusqu'où peut aller une femme quand elle a décidé de venger l'homme qu'elle aime?

VAN THIAN : ...

COUDRIER : ...

VAN THIAN : Au moins, oui.

Notre-Dame de Paris (V. Hugo)



Oui, il m'arrive encore de lire du classique lorsqu'il y en a un qui me tombe sous la main. Avec méfiance toutefois : à de rares exceptions près, les romans du 19e m'ont tellement dégoûté de la lecture dans les années lycée que j'ai mis un certain temps avant de retrouver goût à la littérature. Allons, c'est du passé, et le présent à du bon : quel plaisir de lire du Hugo sans avoir à faire de fiches de lecture !

Dans Notre-Dame de Paris (vous permettez que je vous appelle NDP?), Hugo fait dans le grandiose. Rien d'étonnant jusque là. La cathédrale lui donne le vertige, et force est de constater que sa description du Paris moyenâgeux coupe parfois le souffle. Tout est gothique : l'architecture, les personnages, les sentiments... La profusion du détail noie l'humble lecteur, qui n'est pas sans trouver un certain plaisir dans cet enivrement contrôlé de main de maître. Une oeuvre magistrale en somme : il n'y a rien de plus démodé, et du coup on se laisse volontiers prendre au jeu. On pardonnera donc à Hugo cette insupportable habitude de s'adresser au lecteur ("le lecteur attentif aura donc remarqué...") et cette façon d'écrire comme s'il donnait un cours au Collège de France ("passons maintenant à l'étude des vitraux du transept").

L'Homme du cinquième jour (J.-P. Arrou-Vignod)


J'ai découvert Jean-Philippe Arrou-Vignod dans ma jeunesse, avec les aventures de l'ignoble PP Cul-Vert, flanqué de Rémi et de Mathilde (!!), trois collégiens en mal d'aventures qui traquent le mystère en province. J'ai donc été heureux de dénicher, du même auteur, un roman pour adultes, L'Homme du cinquième jour. Mais quelle ne fut pas ma déception : une loufoque aventure de yéti, teintée de considérations philosophico-ethniques sur la vie, une traque dans le Caucase qui n'en finit plus, un suspens qui tombe à l'eau vers la fin, bref, difficile de trouver des qualités à ce livre. Un conseil : lisez ou relisez Tintin au Tibet, c'est mille fois plus distrayant, et en plus il y a des images !

mardi 3 février 2009

Aux fruits de la passion (D. Pennac)



Le dernier en date de la série des Malaussène, absolument sans surprise. Le scénario manque d'originalité, mais Daniel Pennac est décidemment un exceptionnel créateur de situations cocasses. On se laisse porter jusqu'à la fin de ce court roman par l'incongruité des scènes décrites, qui s'enchaînent sans temps mort. Les fans de la série apprécieront, les autres peuvent passer leur chemin.

Seul le silence (R.J. Ellory)



Un livre au genre non-identifié, entre le thriller et le roman, original sans doute, décevant certainement. Des descriptions trop longues qui se veulent poétiques mais qui n'apportent rien. L’intérêt réside néanmoins dans le fait que l’auteur ne multiplie pas les personnages, ce qui lui laisse le temps de développer leur psychologie. Le lecteur n’a qu’un choix restreint mais ardu pour trouver le coupable de ces meurtres d’enfants. R. J. Ellory est toutefois très habile : sa plume distille en vous une noirceur, un malaise insidieux dont on met quelques jours à se départir.