lundi 5 octobre 2009

La Vénus d'Ille (Mérimée)


Peur sur la ville. Vénus s'éveille, et elle est en colère. Un jeune homme, de chair et de sang, eut un jour la fâcheuse idée de passer au doigt de la statue la bague qu'il destinait à sa fiancée. Mal lui en prit... Le soir de la nuit de noces, jalouse, l'idole sort de sa torpeur glacée et vient mettre fin aux jours de l'amant imprudent.

Le procédé de la nouvelle fantastique du 19ème est connu : c'est bien souvent un savant, un chercheur qui raconte, et qui malgré toute sa science est témoin de faits irrationnels... Face à la statue, bien avant le drame, il ne peut lui-même éprouver autre chose qu'un frisson :

"Quant à la figure, jamais je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange, et dont le type ne se rapprochait d'aucune statue antique dont il me souvienne. Ce n'était point cette beauté calme et sévère des sculpteurs grecs, qui, par système, donnaient à tous les traits une majestueuse immobilité. Ici, au contraire, j'observais avec surprise l'intention marquée de l'artiste de rendre la malice arrivant jusqu'à la méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement : les yeux un peu obliques, la bouche relevée dans les coins, les narines quelque peu gonflées. Dédain, ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d'une incroyable beauté cependant [...] Cette expression d'ironie infernale était augmentée peut-être par le contraste des yeux incrustés d'argent et très brillants avec la patine d'un vert noirâtre que le temps avait donné à toute la statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui rappelait la réalité, la vie. Je me souvins de ce qu'avait dit mon guide, qu'elle faisait baisser les yeux à ceux qui la regardaient".

Le style de Mérimée est froid, sec, sans fioritures, et rend merveilleusement bien la fureur contenue qui se dégage de la statue. Le lecteur en ressort violenté. Malheureusement pour lui, Mérimée, pourtant Inspecteur des Monuments Historiques, ne s'attire par la reconnaissance de ses pairs avec ses nouvelles, car transparaît à travers toutes ses histoires qu'il regarde le monde avec le même oeil que celui de sa Vénus d'Ille : une froideur calculée... Néanmoins, il est dans l'air de son époque : au 18è siècle, les écrivains (Rousseau, Voltaire, Sade...) avaient à combattre la double emprise du Pouvoir et de la Religion sur la société. Au 19è sicèle, la nouvelle tyrannie, c'est la Science, et le fantastique va connaître son heure de gloire, car il met au défi les lois de la Logique et de la Raison devenues toutes puissantes. Maupassant, Poe et d'autres ont ainsi écrit des scènes horrifiantes, mais la Vénus d'Ille demeure à mes yeux le bijou précieux du genre...

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