lundi 26 avril 2010

Les prothétiques (Yan Marchand)



Dans la droite ligne de la note précédente, voici une nouvelle qui n'a rien à envier aux histoires courtes anglo-saxonnes et qui même, je peux le dire puisqu'on est entre nous, dépasse le maître... C'est une pépite que nous livre Yan Marchand, une petite chose précieuse que l'on est heureux d'avoir dénichée.


Les prothétiques mettent en scène un homme qui, atteint par le démon de Midi, envisage sérieusement de tromper sa femme. Un minuscule détail le tracasse : il aime son épouse. D'où ce dilemme : comment commettre l'adultère sans pour autant faire de mal à l'amour de sa vie ? La solution est vite trouvée : Monsieur Georges Maréchal demande à Madame Viviane Maréchal de se glisser dans la peau d'une autre, de jouer le temps d'une nuit ou d'un week-end la maîtresse qu'il n'aura jamais. Sa femme refuse dans un premier temps, puis accepte. Tout se passe alors à merveille. Femme au foyer le lundi et amante le mardi, Viviane se plonge à corps perdu dans le jeu voulu par son mari... jusqu'à la folie. Car il n'est pas simple pour un même coeur d'abriter à la fois une épouse aimante et sa pire rivale. Monsieur Maréchal s'en rendra compte trop tard.


L'histoire reprend les rouages qui ont fait le succès de la nouvelle à la Roald Dahl : une situation banale, un couple, des enfants, des collègues de bureau, une vie ordonnée et soudainement : le chaos. Deux personnes qui jouent à se faire peur, jusqu'au moment où l'une se rend compte que l'autre ne jouait pas. Une véritable scène d'effroi conjugal, voilà à quoi l'on assiste, impuissant.


Mais il y a plus. Là où beaucoup auraient clos l'ouvrage sur le point culminant de la folie, Yan Marchand continue. Qu'y a t-il derrière ce moment où tous les bons films à suspens s'arrêtent pudiquement ? Après l'acmé, les auteurs sont généralement prudents. Le risque de décevoir le lecteur en poursuivant le récit est grand. Autant continuer à faire l'amour après l'orgasme, pour vous donner une image plus... parlante. Eh bien, le tour de force des Prothétiques, c'est d'aller plus loin. Au-delà du point culminant, et sans vous révéler la fin, Yan Marchand va chercher des ressources littéraires proprement exceptionnelles, trouve un dénouement qui, par la beauté de son style comme par son inventivité, vous laisse béat...

vendredi 16 avril 2010

Gelée royale (Roald Dahl)


Les nouvelles de Roald Dahl sont absolument malsaines et sournoises. Autant le dire, c'est ce qui les rend délicieuses !

mercredi 14 avril 2010

La moisson d'hiver (Serge Brussolo)


En Normandie, dans les derniers mois de la seconde guerre mondiale, un jeune garçon revient avec sa mère sur les terres désertées que lui laisse son grand-père en héritage. Desservi par un style au ras des pâquerettes et par un scenario qui se veut grave mais tourne trop souvent aux aventures de Tom Sawyer en Normandie, ce thriller du Bocage garde une certaine consistance grâce à quelques éléments solidement exploités, notamment ce vieux manoir de famille, inoccupé depuis qu'un avion anglais a lâché une bombe dans le grenier. Le missile n'a cependant pas explosé et la maison peut partir en fumée à la moindre vibration. Or, la vieille bâtisse abrite de lourds secrets de famille, qui s'offrent au premier des téméraires qui voudra bien y entrer.



jeudi 1 avril 2010

L'attrape-coeurs (J.D. Salinger)


Il ne faudrait jamais lire les commentaires de quatrième de couverture avant d'ouvrir un livre. Au dos de L'attrape-coeurs, on y parle d'un ouvrage "puissant, dense", à la facture "d'une prodigieuse sûreté..." Comment ne pas être déçu après cela ?

Caufield, un adolescent de bonne famille, a de nouveau été renvoyé de son lycée, quelques jours avant Nöel. Avant que la nouvelle ne parvienne à ses parents, il décide de s'offrir quelque jours seul dans New York et de se laisser porter au gré de ses rencontres ou de ses envies. Caufield en a après le monde entier, comme tout adolescent qui se respecte. Sa petite soeur, Phoebé, avec qui il aime "discuter le coup", est la seule à trouver grâce à ses yeux.

La plume de l'auteur est fine : le ton rend parfaitement la pensée d'un écorché vif. Les phrases sont un mélange parfait de naïveté, de cruauté et de poésie. Elles dessinent de façon millimétrée les émois du jeune garçon, qui évolue entre les préoccupations d'un adulte et d'un enfant qui cherche vainement à savoir où vont les canards de Central Park, en hiver, quand le lac est gêlé.

Les mots tombent juste, et sont même parfois cinglants : l'éloge de la digression auquel se livre Caufield me paraît à ce titre tout à fait remarquable :

"Ce que je veux dire aussi, c'est qu'il y a tellement de fois où on sait pas ce qui est le plus intéressant avant de se mettre à parler d'un truc qui n'est pas le plus intéressant. Je veux dire qu'on peut rien y faire. Mais je pense qu'il fait laisser un gars tranquille quand au moins il est intéressant, et puis tout emballé par quelque chose. J'aime bien lorsque quelqu'un est emballé par quelque chose. C'est chouette. Vous l'avez pas connu vous, ce prof, Mr Vinson. Lui et son foutu cours. Par moments, y avait de quoi devenir maboule. Il arrêtait pas de dire d'unifier et puis de simplifier. Tout le temps. Y a des choses, c'est pas possible. Je veux dire, c'est pas possible de simplifier et d'unifier juste parce que quelqu'un le décide".

La remarque est un peu à l'image du livre. Une gigantesque digression, avec un fil rouge, la quête de soi. Peut-être faut-il être adolescent pour vraiment apprécier l'histoire. Il y a quelque chose d'universel dans tout cela, oui, mais on a aussi du mal à se sentir concerné. Cette certitude que l'on est devant quelque chose de beau, mais d'ennuyant tout à la fois, on l'a tous connu au moins une fois. Attachant, mais pas passionant, L'attrape-coeurs laisse un goût d'inachevé...