lundi 9 février 2009

Une éducation libertine (J.-B. Del Amo)



Pour son premier roman, Jean-Baptiste Del Amo n'y va pas avec le dos de la cuillère : âmes sensibles s'abstenir. L'auteur se complaît dans la description des bas-fonds, des tabous du corps et de l'âme, de la chirurgie sans anesthésie, du Paris populaire et visiblement crasseux du 18e. Tout ce que les corps peuvent contenir de sécrétions et d'humeurs trouvent ici leur place : le sperme, la sueur, les excréments, et la salive sont à l'honneur, du moins dans la première partie du livre. Extrait :

" Paris nombril crasseux et puant de France [...] La chaleur de l'été collait aux visages comme un masque, drapait les corps de feu, suffoquait les femmes aux poitrines poisseuses. Les glandes sudorales déversaient par flots leurs humeurs. Jaillies d'aisselles velues, elles s'écoulaient des fesses aux flancs puis sur les jambes [...] Le son des voix criardes, le souffle épais des chevaux, l'expulsion suintante des crachats, les rots, les pets, les ronflements, les plaintes, les pleurs, les rires grossiers, des corps entrechoqués : tout cela formait un atroce charivari que le voyageur de passage à Paris se hâtait de fuir".

Dans ce roman d'apprentissage, Gaspard, un jeune provincial, fils d'éleveurs de porcs, débarque dans ce magma, bien décidé à refaire sa vie. Il découvrira que c'est par l'anéantissement de toute moralité qu'il s'y fera une place, au prix parfois de certaines souffrances dont aucun détail n'échappera au lecteur... Extrait :

" De l'un des tiroirs, il retira le bris de miroir. Il retourna au lit après avoir eu soin d'allumer un chandelier. La lumière goutta sur les boursouflures, les tumescences de son ventre. Les plaies ne cicatrisaient plus. Elles béaient parmi d'autres cicatrices, des caillots de sang, ouvraient leurs gueules violines, vomissaient un pus épais et brun. Il choisit une parcelle saine. L'entaille fut profonde. Gaspard bascula son visage dans l'oreiller, mordit le tissu. Il pompa le dégorgement hématique à l'aide du drap. Gaspard retira le drap, observa la coupure. Il posa de chaque côté de la plaie un index, puis tira sur les bords et les écarta..."

Il y a du Dorian Gray chez Gaspard. La laideur de son âme mutile non pas son portait, mais son ventre. Ce ventre grâce auquel, comme le découvrira le lecteur, il se fit un nom dans le beau monde. Quoi qu'il en soit, la lecture de ces pages sera une rude épreuve, elles m'ont soulevé le coeur plus d'une fois. Pour tout dire, on se moque de savoir si Paris était réellement aussi sale et sordide que ne le dit J-B Del Amo, car on éprouve, pourquoi le cacher, une sorte de jouissance malsaine en lisant le récit de ces corps malmenés et de ces rues inondées par la fange. La même jouissance que l'on ressent lorsque l'on sait que l'on transgresse un interdit, ou plutôt un non-dit. Néanmoins, cela manque encore de substance, de fond : on ne voit pas où tout cela nous mène, ni ce qu'il faut en retenir, mais le style a une puissance certaine qui ne demande qu'à s'épanouir. Prometteur donc.

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