lundi 2 août 2010

La délicatesse (David Foenkinos)

 
Pour raconter une histoire d'amour (thème peut-être le plus rebattu de la littérature romanesque) sans ennuyer son monde, il faut être doué. C'est le cas de David Foenkinos. Moins imaginatif que Daniel Pennac, mais aussi moins moralisateur ; moins doué qu'Érik Orsenna pour le sens du détail, mais aussi moins faussement érudit. En somme, voilà un auteur qui n'a pas à rougir de se comparer aux meilleurs. Preuve à l'appui, la scène du premier rendez-vous entre François et Nathalie : 

"Il lui demanda ce qu'elle voulait boire. Son choix serait déterminant. Il pensa : si elle commande un déca, je me lève, et je m'en vais. On n'avait pas le droit de boire un déca à ce genre de rendez-vous [...] Un thé, ce n'est guère mieux. [...] On sent qu'on va passer les dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire : chez les beaux-parents [...] Alors quoi ? De l'alcool ? Non, ce n'est pas bien à cette heure-ci. On pourrait avoir peur d'une femme qui se met à boire comme ça [...] Que restait-il maintenant? Le Coca-Cola, ou tout autre type de soda.... Non, pas possible, cela ne faisait pas du tout femme. Autant demander une paille aussi, tant qu'elle y était. Finalement, il se dit qu'un jus, ce serait bien. Oui un jus, c'est sympathique. On sent la fille dosée et équilibrée. Mais quel jus ? Autant esquiver les grands classiques ; évitons la pomme ou l'orange, trop vu. Il faut être un tout petit peu original, sans toutefois être excentrique. La papaye ou la goyave, ça fait peur. Non, le mieux c'est de choisir un entre-deux, comme l'abricot. Voilà, c'est ça. Le jus d'abricot, c'est parfait. Si elle choisit ça, je l'épouse, pensa François. A cet instant précis, Nathalie releva la tête de la carte comme si elle revenait d'une longue réflexion [...]
- Je vais prendre un jus...
- ... ?
- Un jus d'abricot, je crois.
Il la regarda comme si elle était une effraction de la réalité".

Seulement François va mourir. Après plusieurs années de bonheur parfait. Écrasé en traversant la route. En se plongeant dans le travail pour oublier, Nathalie ne va pas voir venir Markus, un collègue effacé au physique modeste, timide et dans la lune. C'est le véritable héros de ce roman, qui apparaît au moment même où l'histoire menaçait de tourner en rond. Un personnage insignifiant devient le deus ex machina de l'intrigue. Le véritable talent de David Foenkinos s'exprime à partir cet instant. "Il faut avoir vécu des années dans le rien pour comprendre comment on peut être subitement effrayé par une possibilité", dit-il à propos de Markus. C'est là le fond de l'histoire.

1 commentaire:

  1. Je viens de lire ton article. Il me donne une envie de silence, de lumière douce, de tassé de thé et de froissement de pages.

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