dimanche 21 février 2010

Au-delà du mal (Shane Stevens)



Un thriller qui ne s'essouffle pas sur 750 pages, le pari était risqué. Tenu pourtant. La collection Sonatine réserve décidément de très bonnes surprises. En publiant une histoire qui dormait dans les cartons depuis des dizaines d'années pour causes de querelles éditoriales, nous voilà propulsés aux sources du roman de serial-killer : par-delà la trame classique (la traque d'un tueur fou à travers les Etats-Unis), l'ensemble surfe sur un style épuré qui donne une fluidité hypnotisante à tout le scénario. Chaque ligne va droit au but et ne s'encombre pas de descriptions superflues.

Le secret d'une réussite ? Le roman n'est jamais pollué par la figure tutélaire du flic. Pas d'alignement de poncifs où l'on donne au lecteur de la "section spéciale" et du "en 30 ans de carrière, j'ai jamais vu ça...". Dans Au-delà du mal, un tueur et un journaliste occupent le devant de la scène. Les policiers autour ne sont que pantins ou personnages secondaires, et il est révélateur de voir à quel point le roman respire sans eux. Ici, le tueur n'est pas un pretexte à la description de scènes macabres, il n'est pas un clown sans relief dont les actes n'ont pour unique but de mettre en valeur le policier à ses trousses et ses méthodes révolutionnaires pour le coincer.

Le tueur est Thomas Bishop. Maltraité par sa mère, il la tue à l'âge de 10 ans. Interné, il s'évade pour semer la panique dans les grandes villes américaines. Son intelligence redoutable aura raison des forces lancées à sa poursuite. Shane Stevens redonne à la maladie mentale toute sa puissance séductrice et repoussante à la fois, tout ce qu'elle incarne de fantasmatique dans nos sociétés dont elle est exclue. La folie pure est décrite dans ce qu'elle a de magique aux yeux des gens dits normaux : le retournement du sens commun, l'inversion des codes moraux, font du fou cet être que l'on ne veut pas voir mais qui fascine dès qu'on l'approche, tel un serpent.

Le journaliste, Adam Kenton, est le meilleur élément de l'hebdomadaire Newstimes. Spécialement affecté par sa direction à la traque du malade, il s'efforce de penser comme lui. Au milieu de cette bataille, il y a la thématique de la peine de mort, omniprésente. Ou comment l'on exploite un fait divers, comment on le presse pour en faire sortir le jus, comment la réflexion n'a pas sa place dans l'instantanéité des faits, et comment les combats des uns et des autres ne sont que des postures opportunistes, dénuées de fondements et d'arguments, dont le seul but est de masquer l'immense médiocrité d'une pensée. Le sénateur Stoner, zélé défenseur de la peine capitale et du "bon sens" populiste, excelle dans ce rôle. On aurait tort de l'accabler pourtant, car il nous renvoie à notre propre médiocrité, celle qui nous conduit à hurler avec les loups pour mieux masquer notre hébétude devant un monde dont la logique nous échappe complètement.

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